L’Union Européenne et les médicaments: une politique davantage centrée sur les besoins des patients

Par Sabine Corachan, Chargée de projets à la LUSS

La Commission européenne avait lancé en 2021 une consultation publique en ligne pour préparer une proposition de révision de la législation sur les médicaments à usage humain…

Pourquoi cette révision ?

La législation et l’organisation actuelles de la politique du médicament sont confrontées à de nombreux défis. Les problèmes d’indisponibilités et le prix de certains médicaments sont toujours des questions dont souffrent beaucoup de patients. Par ailleurs, la Commission européenne souhaite moderniser le secteur pharmaceutique en adoptant une approche axée sur le patient.
Les efforts se concentrent sur quatre axes: améliorer l’accès à des médicaments innovants et abordables, réduire les pénuries de médicaments, mieux prendre en considération la voix des patients dans certains organes de décision et éviter l’augmentation de la résistance aux antimicrobiens.
Cette proposition a été publiée par la Commission européenne le 26 avril dernier.

Les réformes qui ont un impact pour les patients

La LUSS et la VPP relèvent dans cet article cinq catégories de réformes qui leur semblent importantes pour les patients.

Le fonctionnement de l’Agence européenne des médicaments (EMA)

La voix des patients
Ceux-ci seront représentés dans des organes de révision et d’autorisation des médicaments, tels que le comité scientifique principal, le « Committee for Medicinal Products for Human Use » (CHMP), et ceci est un grand pas. Les représentants des patients participeront également au PRAC (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee). Ce comité est chargé d’évaluer et de contrôler la sécurité des médicaments à usage humain.

L’avis de la LUSS et de la VPP
Il est positif que les patients soient également entendus à ce stade du processus de mise à disposition des médicaments. De cette manière, les points de vue et les contributions des patients pourront être pris en compte de manière adéquate dès le début du processus.

Il reste des défis pour remplir et organiser cette fonction, tels qu’une formation des patients pour ce rôle, un soutien structurel à cette participation et l’identification de patients représentatifs d’une communauté de patients.

La voix des patients devrait également être entendue dans d’autres aspects de la réforme. Par exemple, des efforts sont faits pour façonner la définition des « besoins médicaux non satisfaits » ; là aussi, la voix des patients est indispensable.

Le processus réglementaire raccourci
Le temps pour évaluer et autoriser un médicament sur le marché européen pourra être réduit de 400 à 180 jours, et ceci grâce, par exemple, à une réduction du nombre de comités scientifiques, renforcés par des groupes d’expert, et à un système de soumission électronique des dossiers.

L’avis de la LUSS et de la VPP
Cette mesure devrait permettre que les médicaments parviennent plus rapidement aux patients.
Il faudra évidemment garantir que ceci s’accompagne du même niveau de sécurité et d’efficacité du produit.

Une mise à jour des procédures d’autorisation de mise sur le marché

Pour rappel, l’EMA donne une autorisation de mise sur le marché pour toute l’Europe. A la suite de quoi les entreprises négocient un prix et éventuellement un remboursement avec chaque état où elles souhaitent commercialiser le produit.

Suppression de la Sunset Clause
Actuellement, une autorisation de mise sur le marché accordée par l’EMA est limitée à trois ans: passé ce délai, celle-ci est annulée (dès lors que le produit n’est pas disponible dans au moins un pays). Cette clause sera supprimée dans la nouvelle proposition.

L’avis de la LUSS et de la VPP
La LUSS et la VPP défendent le maintien de cette clause, car elle peut inciter à rendre les produits plus rapidement accessibles aux patients.

Une analyse des risques des produits antimicrobiens
Pour ces produits, une analyse des risques potentiels sur l’environnement sera demandée.

L’avis de la LUSS et de la VPP
Des questions restent à clarifier par rapport au maintien de l’autorisation de mise sur le marché de médicaments particulièrement polluants et leur nécessité vitale pour certaines pathologies.

Des incitations pour améliorer l’accès des patients aux médicaments

Développement d’incitations à l’innovation
Un point intéressant des propositions consiste à encourager le développement d’innovations modulaires, au lieu d’avoir une même taille pour tout le monde. Il existe deux types de protections réglementaires qui sont vues comme des incitations pour les fabricants: la protection de leurs données de fabrication et une protection d’exclusivité du marché.
Pendant ce laps de temps, d’autres entreprises ne peuvent pas commercialiser le même produit.
Les entreprises qui développent un nouveau traitement sur le marché auront une protection réglementaire de base de huit années (au lieu de onze actuellement): six années de protection des données et deux de protection de marché.
Pour les maladies rares par contre, la durée standard d’exclusivité commerciale sera de neuf ans.
Cependant, si elles présentent les dossiers du médicament dans tous les États membres,
ou si le médicament répond à un besoin médical non satisfait, ou encore si des essais cliniques comparatifs sont menés, cette « protection » peut s’étendre à douze ans.

L’avis de la LUSS et de la VPP
La mesure relative au lancement dans différents pays est intéressante, car elle pourrait favoriser une accessibilité égale dans toute l’Europe. Des essais cliniques coopératifs de qualité sont également importants et peuvent être encouragés de cette manière.
Un défi consiste à définir les critères qui déterminent s’il existe un besoin médical non satisfait, et une bonne définition sera importante. Il serait utile d’impliquer les patients dans l’élaboration de cette définition.

Le re-ciblage de médicaments
L’EMA souhaite faciliter le développement de nouvelles indications pour des médicaments déjà autorisés (drug re-purposing, ou re-ciblage de molécules déjà existantes). L’idée est de trouver de nouveaux usages de ces médicaments et d’épauler les procédés d’autorisations innovants. Les organisations à but non lucratif (y compris, par exemple, les associations de patients) peuvent soumettre des données à l’EMA, pour pouvoir démarrer une nouvelle autorisation. Ceci va permettre d’effectuer un travail davantage axé sur la demande, et non sur l’offre de l’industrie.

L’avis de la LUSS et de la VPP
Renforcer le re-ciblage des médicaments représente un appui pour les recherches qui se font dans les centres académiques.
C’est particulièrement intéressant pour trouver de nouveaux traitements dans les domaines du cancer et des maladies rares.

Les antibiotiques
Une réflexion a également été menée sur le développement de nouveaux antibiotiques afin de pallier l’augmentation des résistances bactériennes à ceux-ci. Parmi les pistes de solutions figure le fait de travailler avec des bons d’exclusivité transférables, c’est-à-dire qu’une entreprise qui développe un antibiotique obtient une année de protection supplémentaire du marché, l’entreprise pouvant choisir le médicament pour lequel elle l’utilisera.

L’avis de la LUSS et de la VPP
Ce sujet mérite des approches variées justement dosées.

De l’information pour les patients

Notices électroniques
Actuellement, les notices des médicaments se présentent principalement dans un format papier. La réforme envisage de développer des e-notices (notices électroniques via Internet) Les États membres décideront du maintien ou non des notices en format papier.

L’avis de la LUSS et de la VPP
Parce qu’il est particulièrement important pour un patient d’avoir accès à l’information sur son médicament, la LUSS et la VPP défendent la création de e-notices mais plaident pour le maintien de la notice papier. Mais il convient d’examiner comment les notices/informations électroniques peuvent apporter une valeur ajoutée. Par exemple, en facilitant la lecture, en utilisant des vidéos, en fournissant des informations supplémentaires…

Réduire les pénuries

Coopération entre les pays membres
Les pénuries de médicaments sont une des préoccupations majeures des patients en Belgique et dans toute l’Europe. Un point très fort de cette proposition consiste en une consolidation de la coopération entre les pays membres pour affronter cette problématique, et ceci via différents mécanismes :

  • Les entreprises devront signaler plus rapidement les pénuries et les retraits de médicaments, et elles devront établir des plans de prévention.
  • La surveillance devra être renforcée au niveau de chaque pays et par l’EMA.
  • Une gestion coordonnée entre pays membres des pénuries critiques.
  • L’élaboration d’une liste européenne de médicaments critiques.
  • La ré-orientation des stocks devra être facilitée entre pays via des informations électroniques sur les produits.

L’avis de la LUSS et de la VPP
Ces mécanismes seront-ils réellement mis en place et suffiront-ils à éradiquer les pénuries ?

Les prochaines étapes

Ceci n’est que le début du processus: cette proposition va maintenant être soumise au Parlement européen et au Conseil de l’Europe.
Cette révision contient donc des espoirs et des opportunités:

  • Assurer l’accès aux médicaments dans tous les pays de l’Europe Unie.
  • Réduire les indisponibilités.
  • Penser aux patients avant les profits.
  • Réfléchir à un soutien aux structures non-lucratives de développement du médicament.

Mais des questions subsistent:

  • La relocalisation des entreprises en Europe: cette question est souvent posée par les patients, mais elle n’est pas prise en compte dans cette révision.
  • Cette réforme ne comprend pas de mesures relatives aux mécanismes de prix et de remboursement, qui reste une compétence nationale.
  • Une meilleure définition des besoins médicaux non satisfaits est nécessaire.
  • Dans quelle mesure les patients auront-ils un meilleur accès aux médicaments.

Pour aller plus loin
Publications de la Commission Européenne: ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_23_1843
health.ec.europa.eu/publications/factsheet-putting-patients-centre_en

Autres réactions:
epha.org/revising-the-eu-pharmaceutical-legislation-and-putting-people-before-pharma-profits/
www.eu-patient.eu/news/latest-epf-news/2023/epfs-reaction-to-pharmaceutical-legislation-revisions/
www.eurordis.org/response-to-overhaul-of-pharma-legislation/
pharma.be/fr/medias/actualites/le-developpement-de-nouveaux-medicaments-en-europe-potentiellement-en-danger