Déni de démocratie v2.0 87 à 95% du web belge n’est pas accessible

Sur base d’une interview avec Philippe Harmegnies Directeur - Fondateur de Passe-Muraille

Le pouvoir du Web est dans son universalité. L’accès pour tous, quel que soit le handicap, est un aspect essentiel. »
La citation est de Tim Berners-Lee, directeur du W3C9 et inventeur du World Wide Web.
Trente ans après, … « c’est pas gagné ».

L’OMS estime que 15,6% de la population vit avec une forme de handicap10, qu’il s’agisse d’un handicap moteur, sensoriel, psychique ou d’une déficience intellectuelle. Rapportés aux 11,7 millions de Belges, cela représenterait environ 1.825.000 personnes. Des chiffres en constante progression, puisqu’on sait que 80% des handicaps surviennent au cours de la vie (par exemple à la suite d’un accident).
Les questions d’accessibilité aux droits liées au handicap (notamment l’accessibilité « physique ») seront abordées plus largement dans Le Chaînon numéro 69 (décembre 2024, à paraître).
Intéressons-nous à l’accessibilité numérique, celle qui concerne l’utilisabilité des sites internet, des applications pour téléphones mobiles, des bornes d’information…

Obligation légale

Deux Directives européennes régissent les questions d’accessibilité numérique : la Directive (UE) 2016/2102 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2016, relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public11, et la Directive (UE) 2019/882 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public, relative aux exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services12.

Accessibilité du secteur public

La première, entrée en vigueur en 2020, impose depuis que tous les sites internet, intranet, extranet, applications en ligne et applications mobiles du secteur public soient accessibles et utilisables par tous, quel que soit le handicap de l’usager.
Neuf mois plus tard (en juin 2021), l’obligation s’étendait aux applications mobiles des communes, des services publics fédéraux et wallons (SPF et SPW), ainsi que celles des entreprises publiques comme BPost, Proximus ou la SNCB.
Un an après l’entrée en vigueur de cette directive,
le CAWaB (Collectif Accessibilité Wallonie Bruxelles)
et Eqla (ex-Œuvre nationale des aveugles) s’unis-saient pour dénoncer des chiffres ahurissants : 95% des sites web et applications n’étaient toujours pas conformes13.
La seconde directive entrera en vigueur le 28 juin 2025 ; une période transitoire est prévue jusqu’en 2030.

Que dit le texte ?

Les normes WCAG

La directive fait référence à « la norme WCAG 2.1, niveau AA ». Le sigle WCAG veut dire Web Content Accessibility Guidelines, ou « Lignes directrices pour l’accessibilité du contenu en ligne ». WCAG est un standard international d’accessibilité du web.
Plusieurs versions de ce standard se sont succédé depuis les premières années de l’Internet ;
la première, WCAG 1, date de 1999. Le standard actuel, WCAG 2, est en vigueur depuis 2001. Plusieurs révisions complètent et étendent WCAG 2, sans le révolutionner. D’où la numérotation à deux chiffres (2.0, 2.1 et 2.2).
Ces lignes directrices (guidelines, en anglais) sont publiées par le WAI (Web Accessibility Initiative, ou Initiative pour l’Accessibilité du Web), qui dépend du W3C.

Le standard WCAG 2.1

WCAG 2.0 comporte douze lignes directrices, alignées sous quatre grands principes :

  • perceptible,
  • utilisable,
  • compréhensible,
  • robuste.

Chaque ligne directrice est assortie de critères mesurables (il y en a 61 en tout). Tout comme WCAG 1.0, WCAG 2.0 (et suivantes) utilise un système de notation, allant de A à AAA, le Graal étant le AAA. Les directives européennes imposent un score AA.
La liste complète des critères et de leur niveau de conformité se trouve sur le site du W3C14.

Penser l’accessibilité dès l’avant-projet

Si les critères établis dans le WCAG peuvent varier dans leur complexité, certains sont vraiment à la portée de tous, même avec une compétence technique limitée. Ce qui importe, c’est d’intégrer la réflexion sur l’accessibilité dès la conception de l’architecture du projet. Établissons la comparaison avec l’architecture de bâtiments : si une maison, ou un bâtiment public doivent être « totalement » accessibles, mieux vaut intégrer ces « contraintes » dès le briefing de départ plutôt que de se rendre compte à mi-chemin qu’aucune place n’a été prévue pour une rampe d’accès ou un ascenseur. Des aménagements sont néanmoins possibles sur les structures existantes, sans nécessairement devoir sacrifier l’esthétique.
Dans le cas de l’accessibilité des sites internet, des critères de niveau A peuvent par exemple concerner l’utilisation des couleurs et de leur contraste entre elles, le fait que la navigation soit possible au clavier sur le site (la touche Tabulation permet de passer d’un élément au suivant), le sous-titrage des contenus audio ou vidéo (sauf diffusion en direct, qui sont repris sous les scores AA et AAA), la présence d’alternatives textuelles aux contenus non-textuels (par exemples les images)…

Utiles pour tous

Penser « accessible » bénéficie à tout le monde, pas uniquement aux personnes en situation de handicap. Prenons le dernier exemple cité, celui des textes alternatifs sur les images : ce texte apparaîtra également si l’image ne se charge pas sur votre site. Tout bénéfice ! La logique dans l’ordre des champs d’un formulaire peut également améliorer l’expérience utilisateur (qu’on appelle aussi « UX »)… pour tous les utilisateurs !
L’accessibilité des sites internet représente par ailleurs un atout pour le référencement naturel (ou optimisation pour les moteurs de recherche, ou SEO, pour Search Engine Optimisation)15.
En effet, au-delà de la perte de trafic occasionnée par l’inaccessibilité d’un site (les utilisateurs se lassent et quittent le site), certaines des exigences d’une évaluation WCAG sont également des critères que testent les moteurs de recherche (Google, Bing…) pour établir leur classement (ou ranking) du site. Le niveau de langage employé (simple ou soutenu), la présence de textes alternatifs sur les images, le respect de standards de structuration du contenu, sont autant de facteurs à explorer.

Savoir faire, savoir être, faire savoir

La décision de concevoir un site accessible honore qui la prend. Cependant, trop souvent, les bonnes intentions de départ se perdent, les petites erreurs ou oublis s’accumulent, et rapidement, le site n’est plus (aussi) accessible. Il est donc important de veiller à maintenir le cap, à continuer d’entretenir l’accessibilité du site, et à former les nouvelles personnes qui seraient amenées à mettre le site à jour. C’est le « faire savoir », qui vient en complément du savoir faire et du savoir être.

Pourquoi ça coince ?

En Belgique, 95% des sites et des applications des organismes publics sont au moins partiellement inaccessibles. Truffés de failles, ils rendent compliquées, voire impossibles, les démarches administratives pour de nombreux citoyens.
Or depuis le Covid, le numérique est de plus en plus le passage obligé pour prendre rendez-vous chez le médecin, consulter les horaires d’une administration, obtenir certaines primes, payer ses factures… La liste grandit chaque jour, et avec elle, la frustration des utilisateurs et de tout un réseau d’associations qui défendent leurs droits.
En cette année d’élections, un test a été réalisé sur les sites des grands organes de presse du pays. Aucun n’était totalement accessible. Quant aux « tests électoraux » mis en place pour comparer les programmes des partis, le résultat est encore plus médiocre : les formulaires ne sont pas du tout accessibles.
Le désintérêt des administrations pour l’inclusion de tous leurs citoyens confine au dédain. Refondre un site web coûte cher, c’est un fait. Devoir le refaire parce qu’on n’a pas pensé à son accessibilité, c’est du gaspillage d’argent public.
Mais voilà, les directives européennes relatives à l’accessibilité ne prévoient aucune sanction.
Rien ne contraint les organismes ou les entreprises à appliquer ces règles, et les autorités de contrôle (il y en a six en Belgique…) sont débordées.
Il faut donc continuer à sensibiliser tant le grand public que les adjudicateurs de marchés publics. Intégrer les clauses d’accessibilité dès les premières réflexions, et veiller à ce que l’accessibilité reste le fil conducteur au cours du développement. Prévoir des aides financières pour les plus petites structures qui voudraient franchir le pas. Et surtout se rendre compte qu’une personne handicapée dans un aménagement accessible est une personne valide ; et son corollaire : une personne valide dans un aménagement non accessible est une personne handicapée.

Passe Muraille

Passe Muraille est acteur de l’inclusion des personnes handicapées à des degrés divers. Notre action s’articule autour de 4 axes : Formation, Sensibilisation, Communication et Bureau d’études.
Créé en 1998, Passe Muraille est un organisme de facilitation et de démystification, dans un processus d’inclusion de la personne handicapée.
Nos formations et nos sensibilisations vous sont proposées sur mesure et adaptées à votre secteur et aux spécificités de vos besoins.
Notre bureau d’études, d’analyses et de conseils en accessibilité et en signalétique vous apporte son expertise pour vous accompagner à chaque étape du processus d’élaboration de l’ébauche de votre projet à sa réalisation.
Nos services éduco-pédagogiques se composent de nombreuses
sensibilisations, mais aussi d’outils pédagogiques comme notre jeu Malsameco.

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