Quels soins de santé pour les personnes en situation de handicap ?

Vous avez dit « inclusion » ?

Marie-Ange Vandecandelaere, Marie Horlin
Service Politique & Monitoring – Unia

En situation de handicap, bénéficier de soins de santé accessibles et de qualité n’est pas chose aisée : lieux de soins inaccessibles, prestataires peu sensibilisés, non-prise en compte des besoins spécifiques de la personne…
En tant qu’institution publique qui lutte contre les discriminations et défend l’égalité en Belgique, Unia reçoit régulièrement des signalements de personnes en situation de handicap confrontées à la discrimination dans leur accès aux soins de santé.
Le droit à la santé fait pourtant partie des droits fondamentaux spécifiquement protégés par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (ci-après Convention ONU). Comme son effectivité est intrinsèquement liée au respect d’autres droits fondamentaux et constitutionnels, il engendre des obligations à différents niveaux, notamment en termes d’accessibilité et d’octroi d’aménagements raisonnables.

Au niveau international
La Convention ONU enclenche un changement de paradigme : oui, les personnes en situation de handicap sont sujets de droits
Tout d’abord, dans la Convention ONU, le handicap est défini comme une notion évolutive et systémique :
« Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières – comportementales et environnementales – peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres (Art. 1er de la CDPH) ».
Ainsi, une personne est considérée comme en situation de handicap dès qu’elle évolue dans un environnement inadapté et que son incapacité empêche sa pleine participation sur un pied d’égalité avec les autres.
Ensuite, la vision du handicap défendue par la Convention ONU est large : sont potentiellement concernées par cette définition, entre autres, les personnes avec des troubles de l’apprentissage, des maladies chroniques (tels le diabète ou l’épilepsie), des troubles de la santé mentale, une déficience intellectuelle, des troubles sensoriels.
Notons, et c’est important, qu’il n’est pas nécessaire d’être reconnu par une instance officielle comme l’AVIQ ou le SPF sécurité sociale pour être considéré comme une personne en situation de handicap afin de bénéficier de la protection juridique qui en découle, y compris le droit aux aménagements raisonnables.
Cette compréhension large et évolutive du handicap s’oppose à l’approche purement médicale du handicap qui a prévalu jusqu’alors. Les personnes en situation de handicap doivent être dorénavant considérées comme sujets de droits et non comme objets de soins. Il revient donc à la société de s’adapter pour inclure pleinement les personnes en situation de handicap.
L’article 25 de la Convention ONU stipule d’ailleurs que les personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination. Pour ce faire, les autorités ont l’obligation de mettre en œuvre toutes les mesures qui assurent l’accès aux services de santé.
Depuis 2021, ce changement de paradigme, porté par la Convention ONU, bénéficie d’un ancrage dans la Constitution belge grâce au nouvel article 22ter qui stipule que « Chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables ».

Au niveau national
La législation garantit un accès aux soins de santé sans discrimination
Depuis 2007, la Belgique dispose d’un cadre législatif important visant à interdire toute discrimination qui serait fondée notamment sur le handicap. Ces législations sont d’application dans les différents domaines de la vie sociale, y compris en ce qui concerne l’accès aux soins de santé.
En plus d’interdire les discriminations directes et indirectes, la législation stipule que refuser de mettre en place des aménagements raisonnables (pour plus d’information à ce sujet, voir encadré « Un aménagement raisonnable ») pour une personne handicapée constitue une discrimination, sauf si les aménagements demandés représentent une charge disproportionnée.
Dans l’accès aux soins de santé, les aménagements raisonnables peuvent prendre différentes formes :
matérielles : une rampe d’accès à l’entrée d’un cabinet médical ; des supports adaptés pour expliquer le déroulement d’un examen médical ; des consignes médicales dans un langage facile à lire et à comprendre (FALC) ; l’octroi d’une chambre individuelle sans surcoût pour un patient autiste ; un matelas anti-escarres pour une personne tétraplégique, etc.
organisationnelles : du temps supplémentaire lors d’une consultation pour s’assurer de la bonne compréhension des informations par le patient avec un handicap intellectuel ; l’accès aux chiens d’assistance ; la prolongation d’une hospitalisation pour qu’une personne avec un handicap moteur puisse retrouver un peu d’autonomie avant son retour à domicile, etc.
Contrairement à l’accessibilité, qui intervient en amont et concerne l’ensemble de la population, les aménagements raisonnables sont des mesures individuelles, adaptées en fonction des besoins spécifiques de la personne en situation de handicap, dans une situation concrète.
Ainsi, un aménagement raisonnable mis en place pour un personne autiste ou une personne sourde, par exemple, ne va pas forcément répondre aux besoins d’une autre personne sourde ou autiste. Chaque aménagement doit donc être conçu sur mesure.

En réalité, les inégalités perdurent dans l’accès au soin
Malgré cet arsenal juridique, les inégalités d’accès aux soins pour les personnes en situation de handicap persistent. De nombreux obstacles continuent de compromettre leur accès aux services de santé. Ils ont été particulièrement exacerbés durant la crise sanitaire du covid.
Tout d’abord, l’accessibilité des infrastructures médicales et paramédicales reste insuffisante. Les hôpitaux, cabinets médicaux, et même les transports vers les lieux de soin sont souvent inadaptés, rendant difficile, voire impossible, l’accès aux services de santé.
« Pas de choix libre du médecin traitant, il faut un cabinet accessible chose rare ! » (Consultation d’Unia, 2020)
Ensuite, l’absence de procédures d’accueil spécifiques pour la prise en charge des personnes en situation de handicap constitue un véritable frein. Leurs besoins ne sont pas toujours pris en compte, faute de protocoles ou de directives claires sur leur droit aux aménagements raisonnables.

« À l’hôpital, il m’est déjà arrivé de rester quatre jours dans le couloir aux urgences, où ils vous lavent et ils vous changent la couche-culotte alors que tout le monde passe par là »
(Consultation d’Unia, 2020)

Par ailleurs, l’accessibilité de l’information fait cruellement défaut : manque de supports adaptés ; absence d’interprètes en langue des signes lors des consultations et hospitalisations ; usage d’un jargon médical complexe empêchant de garantir un consentement libre et éclairé…

« Beaucoup d’hôpitaux belges continuent à faire des difficultés pour recourir à des interprètes lors des consultations. C’est un droit élémentaire qui occasionne toujours des discussions sans fin alors que cela devrait être un droit fondamental. Supposez qu’on vous explique qu’on vous a diagnostiqué un cancer, mais que vous ne comprenez rien à ce qu’on vous raconte… »
(Consultation d’Unia, 2020)

De plus, la formation du personnel de santé reste insuffisante. La méconnaissance des spécificités liées au handicap peut engendrer des incompréhensions, des stéréotypes menant dans certains cas à des discriminations, voire des erreurs de diagnostic ou médicales.

« Le plus dur, c’est le manque de formation du personnel médical ou paramédical et leur suffisance. L’inclusion ne fait pas partie du monde de la médecine ou des soins de santé. »
(Consultation d’Unia, 2020)

Enfin, le coût des soins représente un obstacle majeur, en particulier pour les personnes handicapées en situation de précarité, voire de pauvreté. Rappelons qu’en Wallonie et à Bruxelles, selon la dernière enquête de Solidaris (datée de 2023) sur le renoncement aux soins pour des raisons financières, plus de quatre Belges francophones sur dix ont déjà dû renoncer à un soin faute de moyens financiers.

« Les coûts de l’hôpital et des médicaments prennent des proportions gigantesques alors que mon revenu recule aussi de manière gigantesque car je ne peux plus aller travailler. »
(Consultation d’Unia, 2020)

Garantir un droit à la santé effectif : un impératif pour les autorités et les professionnels de santé
Pour que les droits des personnes en situation de handicap ne restent pas théoriques, les autorités politiques ont un rôle crucial à jouer. Ainsi, conformément aux recommandations du Comité des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, émises en septembre 2024, il est urgent de prendre des mesures réglementaires pour améliorer l’accessibilité des infrastructures médicales et paramédicales. Les autorités doivent également fixer un cadre pour que les personnes handicapées puissent donner un consentement libre et éclairé à toute procédure médicale, et veiller à ce qu’elles puissent accéder aux soins de manière égalitaire et à un coût abordable.
Ces mesures politiques doivent être adoptées le plus rapidement possible. Toutefois, nous savons qu’elles ne pourront pas produire leurs effets du jour au lendemain. C’est pourquoi il est fondamental que les professionnels de la santé agissent à leur niveau en mettant tout en œuvre pour assurer un accès non-discriminatoire aux soins de santé. Pour ce faire, ils doivent dans l’immédiat garantir le droit aux aménagements raisonnables pour les personnes en situation de handicap.

Comment ?
En étant à l’écoute des besoins des personnes handicapées, en se formant à leurs spécificités, et en prenant le temps nécessaire lors des consultations pour qu’elles puissent comprendre les enjeux liés aux soins. Un langage accessible, que ce soit notamment par des explications faciles à comprendre ou bien encore l’usage de la langue des signes pour les personnes sourdes, doit être systématiquement privilégié. Toutes les mesures de soutiens nécessaires doivent être mises en place pour renforcer la capacité des personnes en situation de handicap à prendre en charge leur santé et leur permettre de participer aux décisions médicales (utilisation d’outils adaptés, désignation de personne de confiance…).
À l’échelle des structures hospitalières, médicales et paramédicales, il conviendrait de désigner des référents « accessibilité et aménagements raisonnables » formés aux questions de discriminations et aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. Ils pourraient ainsi : s’assurer d’un accueil personnalisé et adéquat des personnes handicapées ; veiller à l’amélioration de l’accessibilité des infrastructures des équipements médicaux mais aussi des pratiques organisationnelles. En la matière, le service Welcome de l’hôpital de la Citadelle de Liège (voir pages 96-97) est particulièrement inspirant. Il a pour mission d’offrir un accompagnement personnalisé aux personnes à besoins spécifiques au sein de l’hôpital afin de leur garantir une meilleure qualité des soins et d’accueil.
Nul doute que de nombreuses autres bonnes pratiques existent sur le terrain. Il nous appartient à tous de les soutenir, les renforcer et les promouvoir pour que le droit à des soins de santé inclusifs devienne une réalité pour toutes les personnes en situation de handicap.

Un aménagement raisonnable?

Un aménagement raisonnable est une mesure concrète permettant de réduire, autant que possible, les effets négatifs d’un environnement inadapté sur la participation d’une personne en situation de handicap à la vie en société. L’aménagement doit permettre une participation effective, égale et autonome de la personne en situation de handicap.
Un protocole fixe des indicateurs permettant d’évaluer le caractère raisonnable de l’aménagement tels que, entre autres, le coût, l’impact sur l’organisation, la fréquence et la durée prévues de l’utilisation de l’aménagement, la dignité qu’il garantit à la personne…
Si l’aménagement demandé est déraisonnable, le refus n’est pas une discrimination. En tout état de cause, il faudra toujours vérifier si une alternative non-disproportionnée est envisageable.

Moins la société est inclusive et accessible, plus le recours aux aménagements raisonnables sera nécessaire pour garantir l’équité.

En savoir plus sur le travail d’Unia : visitez www.unia.be
Consultation des personnes handicapées sur le respect de leurs droits, 2020
Rapport d’étude et recommandations : pour une meilleure accessibilité des hôpitaux aux personnes malentendantes et sourdes, 2019
La priorisation dans les hôpitaux en temps de pandémie pour les personnes en situation de handicap, 2021
L’impact de la crise du coronavirus sur les personnes en situation de handicap, 2020
Pour aller plus loin :
Alteo, « Comment assurer à tous l’accès à des soins de qualité ? Compilation des constats, attentes et suggestions », septembre 2024.
Inclusion, Handicap & Santé, « Dites aaa », référentiel des conseils et outils pratiques pour garantir des relations de soins de qualité pour les personnes avec un handicap intellectuel : ditesaaa.be
Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE), « Comment améliorer l’accès aux soins de santé des personnes en situation de handicap intellectuel ? », 2022.
Contactez Unia :
Unia
Place Victor Horta 40, bte 40
1060 Saint-Gilles (Bruxelles)
0800 12 800 (depuis la Belgique)
+32 (0) 2 212 30 00 (depuis l’étranger)
Réseaux sociaux :
Unia