École et douleur chronique : une relation difficile

Quelle inclusion scolaire pour les élèves en situation de douleur chronique ?

Thierry Joiris
Neuropsychologue spécialisé en algologie
Coordinateur Centre Interdisciplinaire DOME

Dans nos écoles, l’inclusion des élèves reste un enjeu fondamental. S’il est plus aisé de penser l’inclusion dans certains cas comme les troubles spécifiques des apprentissages, l’exercice devient tout de suite plus difficile lorsqu’il faut envisager l’inclusion des élèves avec douleurs chroniques.
Pourtant, les douleurs chroniques chez les enfants/adolescents scolarisés sont fréquentes. Il peut s’agir de douleurs chroniques persistantes, répétées ou récidivantes (céphalées, migraines, syndrome douloureux régional complexe…), de douleurs chroniques dites fonctionnelles ou de douleurs chroniques s’inscrivant dans le cadre d’une pathologie chronique.
Un autre constat : les douleurs chroniques prédisent une moins bonne réussite scolaire.
Enfin, certains élèves ont une relation plus complexe à la douleur et à son expression.
Ils demanderont donc une approche plus spécifique. C’est le cas des enfants avec trouble du spectre autistique (TSA).
La douleur chronique est un handicap invisible. Il n’est donc pas simple pour des équipes pédagogiques au sein des écoles d’appréhender cet accompagnement de l’élève douloureux chronique. Elles ne sont ni sensibilisées ni formées.

Reconnaître la douleur chronique de l’enfant : un besoin urgent de sensibilisation
L’IASP (International Association for the Study of Pain) estime que l’enfant fait partie des patients dits « vulnérables » en matière d’évaluation et de traitement de la douleur. Sa douleur reste sous-évaluée et sous-traitée.
Sur le terrain, la banalisation alterne toujours entre deux positions antagonistes. Soit c’est tout psychologique (« c’est du stress »). Soit c’est tout somatique (« douleurs de croissance »). Dans les deux cas, elles conduiront à une impasse thérapeutique et à une non-écoute de l’enfant en souffrance.
L’enfant, quels que soient son âge, son handicap ou ses capacités de communication verbale perçoit bien la douleur. Il est important de le rappeler car à une époque on a pu en douter. Cette douleur doit être évaluée et traitée correctement.
Cette remarque concerne TOUS les enfants.
Les enfants en situation de handicap moteur ou avec des troubles de la communication verbale demandent d’autres stratégies d’évaluation de la douleur avec des outils adaptés.

Des conséquences multiples en cascade
Toute situation de douleur chronique va impacter de manière multiple la scolarité et l’enfant lui-même :

  • absentéisme scolaire ou décrochage scolaire ;
  • décompensation de l’état psychologique (trouble dépressif, anxiété) ;
  • décompensation physique (majoration de la douleur) ;
  • stigmatisation/harcèlement/rejet ;
  • difficultés d’apprentissage/échec scolaire avec à l’avant plan des troubles de la concentration.

Ces éléments vont aggraver l’expérience douloureuse. On entre ainsi dans un cercle vicieux.
Certains élèves seront malheureusement victimes d’une double peine. Il existe en effet une différence entre un enfant présentant des migraines ou un enfant expérimentant la douleur chronique dans le cadre d’une pathologie chronique avec tout ce que cela implique (complications autres que la douleur, prise en charge médicale/paramédicale lourde ou fréquente, inquiétudes sur l’évolution, stigmates/rejet en lien avec la pathologie chronique, visibilité des symptômes…).

Pourquoi la concentration de l’élève douloureux chronique est-elle difficile ?
Pour plusieurs raisons :

  • La douleur chronique elle-même. Cette douleur est « un stimulus perceptuel exigeant de l’attention21 » Lorsque l’élève a mal, la douleur mobilise une partie de ses ressources attentionnelles, de sa concentration. Il dispose donc de moins de ressources pour se concentrer sur les apprentissages et les tâches scolaires ;
  • Les traitements antalgiques médicamenteux et leurs possibles effets sur la vigilance ;
  • L’hypervigilance au corps et aux sensations corporelles nécessaires pour anticiper toute blessure éventuelle. L’élève est donc distrait ;
  • La kinésiophobie. Il s’agit de la peur du mouvement et de la réapparition de la douleur ou de la blessure ;
  • La fatigue ;
  • La comorbidité avec des troubles spécifiques des apprentissages (TDA/H, dyslexie….) ou un double diagnostic (NDLR : voir p 20).

L’élève avec douleur chronique est-il un élève à besoins spécifiques ?
La réponse est oui. L’élève avec pathologie chronique ou douleur chronique cumule des difficultés qui entraînent un handicap invisible. Cette situation fait de lui un élève à besoins spécifiques.
Il doit donc bénéficier d’aménagements raisonnables et peut exiger une pédagogie différenciée.

Quelle vision de l’inclusion scolaire de l’élève avec douleur chronique ?
L’inclusion scolaire doit s’inscrire dans une approche biopsychosociale, nécessitant à la fois la sensibilisation à la douleur chronique des acteurs de l’éducation, un travail en réseau et une collaboration active avec un réseau de soins.

Une démarche en trois étapes pour des aménagements raisonnables
Dans le cadre de notre pratique, nous avons opté pour cette démarche.
Première étape : identification des difficultés et des besoins spécifiques
Avant toute mise en place d’aménagements raisonnables pour pathologie chronique/douleur chronique au sein de l’école, il est nécessaire de commencer par l’évaluation des difficultés et des besoins spécifiques de l’élève. Cette appréciation se fait en collaboration avec l’élève lors d’entretiens individuels. Ceux-ci ont pour objectifs :

  • de l’informer de ses droits et du cadre légal en lien avec son statut d’élève à besoins spécifiques
  • de savoir si l’élève est demandeur d’aménagements raisonnables
  • d’obtenir son accord à la mise en place des aménagements raisonnables et aux contacts avec l’école qu’elle va impliquer
  • d’identifier les informations à communiquer à l’école. Que pouvons-nous dire ? À qui pouvons-nous le dire ?
  • de répertorier ce qui est déjà mis en place et d’évaluer si c’est pertinent par rapport à la pathologie ou à la douleur chronique
  • d’aborder et de permettre de verbaliser les éventuelles répercussions psychoaffectives
  • d’identifier et de désamorcer les situations d’urgence (rejet, harcèlement scolaire, moqueries/insultes, obligation à réaliser certaines activités physiques/sportives…)

Faire participer l’élève dès la première étape permet de renforcer son sentiment d’efficacité personnelle. Face à une pathologie chronique/douleur chronique qu’il va devoir apprendre à gérer c’est fondamental.

Deuxième étape : formalisation des aménagements raisonnables au moyen d’un outil spécifique
Des aménagements raisonnables sont ensuite proposés. Ceux-ci sont retranscrits dans un document particulier : la Fiche ARPEDI pathologie chronique © Centre DOME.
ARPEDI signifie Aménagements Raisonnables et Pédagogie Différenciée.
Cette fiche répond à un double objectif : sensibiliser à la pathologie/la douleur chronique et proposer des aménagements raisonnables faciles à mettre en place.

Elle permet une sensibilisation à la douleur chronique de façon transversale. La partie « difficultés en lien avec la pathologie » permet d’expliquer le vécu de la douleur chronique par l’élève au travers d’exemples précis décrivant l’impact de la douleur sur les tâches scolaires.
Particulièrement pour l’adolescent, il faut toujours vérifier le degré d’acceptabilité des aménagements raisonnables visibles au sein de la classe.
Chez l’adolescent on peut être confronté au paradoxe suivant : la volonté qu’un handicap invisible reste invisible.

Troisième étape : attestation EBS et coordination scolaire
La Fiche ARPEDI pathologie chronique © Centre DOME est complétée par une attestation validant le statut d’élève à besoins spécifiques. Il s’agit ici de rappeler que l’élève répond aux critères du décret.
Une coordination est ensuite directement assurée avec l’école. La Fiche ARPEDI pathologie chronique © Centre DOME restera le document de liaison. Cette coordination se fait tout au long de l’année en collaboration avec les enseignants, les intervenants du CPMS ou du service inclusion, les directions d’école.
Cette étape peut se voir complétée par des supports de sensibilisation qui vont venir compléter la Fiche ARPEDI pathologie chronique © Centre DOME. Par exemple, la bande dessinée proposée par le GESED ASBL pour nos enfants/adolescents avec syndrome d’Ehlers-Danlos (SED).
Elle peut également se voir complétée par un certificat médical ouvert. Celui-ci permet d’excuser les éventuelles absences consécutives à des moments où l’élève présente des épisodes de décompensation de sa douleur chronique.
Cela évite également l’épuisement de la famille en lui évitant à chaque absence de consulter le médecin traitant pour obtenir un certificat afin que l’élève n’ait pas une absence non justifiée. Une seule difficulté toutefois : l’acceptation de ce certificat médical ouvert est laissée à l’appréciation des directions d’écoles. Certaines le refusent.

Une nécessaire approche en réseau
La sensibilisation à la douleur chronique des élèves est affaire de tous. Elle doit donc se concevoir dans le cadre d’une approche en réseau. La collaboration doit se faire avec écoles/CPMS, services inclusion dans l’enseignement supérieur, pôles territoriaux, associations de patients et le réseau de soins médical et paramédical.
Des initiatives intéressantes existent qui peuvent participer de cette approche en réseau. C’est le cas de ClassContact qui connecte gratuitement l’enfant malade ou hospitalisé à sa classe.

Quels investissements pour demain ?
Pour poursuivre l’amélioration de l’inclusion scolaire des élèves avec douleur chronique, notre investissement se portera sur deux projets actuellement en réflexion. D’une part, l’organisation d’une journée de formation autour de la scolarité et des douleurs chroniques de l’enfant et de l’adolescent, formation à destination du monde enseignant. D’autre part, la réalisation d’un support de sensibilisation à la douleur chronique dans le cadre scolaire. En effet, à ce jour, un tel support n’existe pas.

Contacts

Centre Interdisciplinaire DOME
Rue du Château Massart 25
4000 Liège
04 234 79 21
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www.centredome.be