La vie quotidienne de la personne handicapée en 2024

Par Jean-Marc Compère, X fragile-Europe asbl
info@x-fragile.eu
Suite de l’article de 2015 ! Dix ans après : quel constat ?
Quand le handicap est entré dans la famille, le « long fleuve tranquille » de la vie reste un « long torrent » avec des sentiments de peine et de joie même si notre fils, Jérémy, évolue toujours et a pris ses « marques » dans le SAJA (Service d’Accueil de Jour pour Adultes) mais la nouvelle aventure nous ouvre plus de portes et nous procure toujours une source de réflexion plus positive, de bonheur et de craintes de l’avenir.
Des soins thérapeutiques sont encore d’actualité, ils sont plus directement vers la vie active et ciblent davantage l’autonomie comme l’utilisation pratique d’une base de lecture, de comptage ainsi que des compétences nouvelles comme le GSM tactile. Rien n’a réellement changé en dehors de l’évolution personnelle de Jérémy et sa recherche d’autonomie de plus en plus affirmée.
Notre fils, présentant le syndrome X fragile, fait ce qu’il peut avec les acquis scolaires et ses expériences personnelles dans différentes associations ainsi que dans son milieu de travail (le SAJA). Notre préoccupation à la sortie de l’école était de le faire accepter intellectuellement et socialement car c’est un apprentissage de tous les jours mais peu comprennent les troubles du comportement adulte (34 ans aujourd’hui). Sa capacité d’autonomie et ses connaissances générales se développent remarquablement, il utilise des stratégies issues d’expériences vécues avec d’autres pairs, d’autres associations avec un public diversifié et dans de nombreux domaines.
L’enseignement spécialisé de « type 2-forme 2 jusque 21 ans » a été nécessaire pour lui donner les bases de la vie active et il lui restait à développer son projet de vie avec une autre dimension et l’occupation dans une entreprise adaptée (ETA) avant de réaliser que son handicap ne lui permettrait pas de « faire comme tout le monde ». Sa capacité dans une tâche de « production » était trop faible et il a dû trouver « sa » place dans un SAJA où il pourrait se rendre utile, apprendre à travailler et à vivre au sein d’une « entreprise » où il entretient une relation avec des pairs (comme lui, même si différents) et des accompagnants (éducateurs, animateurs et responsables).
Le monde d’aujourd’hui est très difficile pour exercer une activité « professionnelle » même encadrée. La réalité du terrain est très différente de l’école. Le temps pour être efficace est limité même en entreprise de travail adapté (ETA) et le besoin d’une rentabilité minimale empêche toutes possibilités individuelles de travail pour un jeune comme notre fils. Nous sommes de plus en plus certains que nous et lui avons pris la bonne orientation professionnelle et possible avec le SAJA.
L’inclusion pour tous sauf pour… !
Tout le monde parle d’inclusion, un emploi en ETA pourrait correspondre mais la compétition des entreprises (ETA avec d’autres comme le travail en prison…) n’offre pas cette possibilité d’inclusion. La nécessité d’une transition socioprofessionnelle est réelle quand on présente une déficience intellectuelle modérée. Dans la société actuelle, chacun « veut bien » l’inclusion mais pas pour tous ni partout, « nous devrions comprendre » ?
Le handicap, nous ne pourrons jamais l’effacer mais pouvons-nous parfois le mettre entre parenthèses ? Sans réelle volonté politique et patronale, tous les beaux discours ne changeront rien et l’inclusion restera un vœu pieux.
Si l’activité professionnelle est l’aboutissement d’un apprentissage à la vie active, le développement personnel de notre fils évolue et Jérémy prend de l’assurance avec l’expérimentation en termes d’autonomie et d’autodétermination.
À ce propos, il signifie clairement son choix et il s’affirme avec un « oui » ou un « non ». Nous lui accordons cette autodétermination avec la différence que le droit de choisir ne doit pas être un droit unilatéral. Les notions sociales de respect de ses engagements et de prise de conscience sont des éléments importants pour lesquels une discussion doit s’ouvrir, à certains moments, sur le bien-fondé et les conséquences engendrées (nécessité de motiver son choix initial, apporter des nuances ou des alternatives).
Tout à coup, l’élan de l’inclusion et de l’évolution sociale se brise et ralentit notre société où tant de choses s’étaient mises en place. Le monde convivial s’estompa ! Le covid était là !
Le bouleversement de toutes nos valeurs morales et sociales était là ! L’inclusion n’est plus qu’un paragraphe de notre civilisation ! Les personnes en situation de handicap sont discriminées et écartées dans les institutions et les hôpitaux. Le confinement est décrété et les traitements réservés aux personnes handicapées sont très controversés. Trop de contrôle, trop de restrictions pour parler d’inclusion même si des obligations sociales et légales existent. NON, l’inclusion n’était plus de ce monde !
Parlons du covid, des adultes fragilisés ont failli être perdus pour toujours lors du premier confinement. Trop de professionnels sont partis sans pouvoir accompagner les personnes, reconnues comme ayant un besoin d’accompagnement, sont laissées seules voire abandonnées : les services sociaux étaient fermés, l’accompagnement n’était plus indispensable ! Dénoncer les faits en urgence et éviter qu’un deuxième confinement ne soit la réplique du premier où certaines autorités médicales ont eu quelques initiatives malvenues à l’égard de la population fragilisée.
Aujourd’hui, après les confinements, l’inclusion a repris mais plus pour TOUS car réservée pour les « moins handicapés ». L’AVIQ devrait être la garante du processus d’inclusion mais ce droit constitutionnel a été ignoré. Des projets d’insertion « oui,… mais » que deviennent les personnes issues de l’enseignement spécialisé fréquenté par les plus défavorisées intellectuellement. Pourquoi ?
Sur le plan socioprofessionnel, le statut de Jérémy est assuré actuellement mais pour combien de temps encore ? Les familles sont dans des situations souvent pénibles : pertes d’emploi, frais médicaux, déclin social, crise financière et crise sanitaire ! Heureusement, le travail en SAJA encourage les adultes à prendre confiance et à être autonomes.
Sur le plan social, Jérémy ne supporte pas d’être « maintenu » à domicile et de se limiter à des tâches routinières d’entretien. Briser la solitude, rechercher de nouvelles relations sociales et découvrir de nouvelles activités,… sont ses préoccupations dans son réseau social. Il participe à de multiples activités socioculturelles et ludiques. L’AVIQ semble éloignée des besoins en termes d’activités socioprofessionnelles, peu ou pas d’objectifs précis et une motivation aléatoire. Comment se développer et s’épanouir dans une société inclusive censée améliorer la qualité de vie et promouvoir l’autonomie ? OUI, la discrimination est de plus en plus présente !
Au fil des dernières années, les besoins relationnels et affectifs sont mieux pris en compte mais les professionnels ne sont pas toujours demandeurs, des discriminations flagrantes existent partout alors que les adultes ne sont pas des enfants éternels dépourvus d’émotion ! L’inclusion pour TOUS est bien morte ! Comment l’AVIQ ne voit pas ce qui se passe sur le terrain ? Ces besoins restent souvent niés/ignorés en cas de déficience intellectuelle et cette situation est souvent dénoncée au niveau des institutions !
Les relations sociales sont dans les préoccupations actuelles de tous, différentes mais similaires. Trop d’institutions appliquent un règlement évitant tout rapprochement sentimental en ignorant le droit à l’intimité et en décrétant un statut d’enfant ! Quand ces adultes seront-ils reconnus dans leurs droits et le statut de majeurs ainsi que la vie en couple ? PAS encore aujourd’hui car peu de choses ont changé.
Sur le plan cognitif, l’évolution continue et de nouvelles compétences émergent (telles que la réflexion et le recours à la lecture de mots utiles) ainsi que l’utilisation de stratégies concrètes pour être autonome. De nouveau, le manque de moyens humains dans les services d’aide aux personnes porteuses d’une déficience intellectuelle modérée est une discrimination !
Aujourd’hui, la vie est-elle plus facile ? OUI, cela change mais l’objectif n’est pas atteint ! Quand on parle d’inclusion la plupart du temps, celle-ci concernent rarement les personnes avec une déficience intellectuelle ! Les personnes en situation de handicap « forcent le passage » pour être reconnues dans leurs droits ! Les choses ont-elles vraiment changé en dix ans ? NON, c’est comme avant 2003 !
Les services d’aide aux personnes sont toujours en attente de renforts humains et « on » nous parle de droit, de coût, d’inclusion, d’accompagnement… comme étant une évidence. De même, dans le monde scolaire, certains enseignants aboutissent dans des écoles spécialisées sans aucune formation spécifique préalable ni obligatoire !
Les adultes ont beaucoup changé avec un comportement plus agréable. La gestion des émotions reste le souci majeur face aux troubles du comportement surtout en cas d’imprévus. En dehors de certains profils spécifiques, ils sont heureux quand leur vie d’adulte est semblable à la nôtre. Par contre, en institution, nous sommes revenus dix ans en arrière : peu de liberté, même en étant majeur, le manque d’intimité, le manque d’attention à l’âge des résidents ainsi que des éducateurs, l’imposition de mesures séculaires contraignantes ou de coupures de TV, l’obligation de partager la chambre sans douche individuelle ! NON, rien n’a vraiment changé !
Et voilà, la question « Après nous, les parents » revient au centre des préoccupations !
Jérémy (34 ans) est un homme, serviable et de bonne humeur mais « le long fleuve tranquille » peut « s’emballer » en cas de contrariété. Être heureux, se sentir libre et être autonome dans ses déplacements sont des sentiments de liberté « nécessaires » mais les réflexions malencontreuses ou désobligeantes sont encore présentes. Les répercussions malheureuses peuvent lui « casser » le moral et la santé. NON, rien n’a changé !
Nous avons participé à son autonomie et à son autodétermination mais demain, se posera la question de la liberté de résidence, la liberté du choix de ses activités et de ses loisirs, la liberté de participer à des groupes, la liberté de vivre sa vie… ? NON, nous n’avons pas de garantie de cette évolution au sein d’un cadre institutionnel !
Le NON est une analyse quelque peu négative mais c’est aussi la réalité ! Le OUI-NON pour certains, une nouvelle attitude apparaît à l’initiative d’une personne, d’un professionnel ou d’une nouvelle culture d’entreprise ou d’institution. Le OUI décrirait un changement de société, de modèle relationnel et de motivation basée sur le souhait des personnes et l’inclusion sociale ou socioprofessionnelle. Cette dernière devrait être insufflée par les nouveaux managers et des formations adaptées.
L’activité socioprofessionnelle est une normalisation pour les adultes avec le retour quotidien au domicile familial ou privé. Dans la déficience intellectuelle, la notion de « travail » n’est pas liée uniquement aux revenus mais à l’aboutissement du développement personnel avec d’importantes valeurs humaines, l’estime de soi et le plaisir d’être utiles. Le « travail » en SAJA est l’activité indispensable à l’équilibre psychologique de notre fils. C’est une alternative intéressante au travail rémunéré (Jérémy paie +/- 16 € par jour au SAJA pour y travailler et y bénéficier d’un encadrement). Sans cette activité socioprofessionnelle, des soucis comportementaux seraient probablement engendrés par une faible structuration du temps, une absence d’objectifs concrets et de relations sociales. Ceci nécessiterait une médication nuisible à sa qualité de vie. Le travail, c’est la « santé » et cela est bénéfique pour son bien-être et son état de santé général.
La société évolue et la personne handicapée doit prendre réellement sa place car la société n’est pas inclusive. Le public marque son intérêt pour les réussites mais en cas d’échec, la réaction est diamétralement opposée (suspicion d’être la conséquence d’une faute ou d’une erreur de jugement avec la désignation subjective du coupable).
Le handicap mental fait toujours « peur » et les troubles du comportement dérangent. « CAP48 » et d’autres acteurs sociaux devraient démystifier davantage le handicap mental même si les troubles du comportement sont difficiles à comprendre par le grand public. En dehors des reportages de CAP48, l’inclusion reste anodine. Les associations en sont conscientes mais peu à peu, ce courant se crée par des actions concrètes des personnes elles-mêmes mais trop confidentielles, contrairement au plan incliné d’accessibilité physique, le cliché de l’inclusion !
Vivre au quotidien, c’est vivre l’instant présent mais toujours avec la crainte du futur !
Au fait, quel est-il ce futur ? Comme souvent dit : « Si les mages peuvent voir le futur, pour les parents, c’est plus compliqué ! »
C’est la résidence effective : SRA (Service Résidentiel pour Adultes) ou l’autonomie résidentielle : ce dilemme est au centre de nos réflexions parentales actuelles.
C’est l’activité socioprofessionnelle : en insertion, ou en ETA, ou en SAJA, en bénévolat sous un statut flou. Qui sera là pour prendre les décisions face à un système social qui a ses limites et est parfois controversé ? Les formations sociales et humaines sont incomplètes au niveau des besoins spécifiques pour que la qualité de vie évolue favorablement. Les personnes porteuses d’une déficience intellectuelle ne sont plus les mêmes aujourd’hui que celles d’hier mais demain non plus ?
Les mesures à prendre pour garantir une stabilité restent soumises à l’arbitraire et connotées péjorativement ! NON, rien n’a vraiment changé ! OUI, les personnes vont vers l’inclusion mais quelle sera-t-elle ?
L’insertion socioprofessionnelle encourage à promouvoir une « normalisation » (ou adaptation sociale) pas toujours pour tous.
L’autonomie personnelle se construit par une guidance dégressive dans un climat de confiance mais TOUS n’ont pas la possibilité du choix vestimentaire ou alimentaire, ni des loisirs, ni de leur lieu de résidence, ni de se déplacer en toute sécurité, ni de prendre soin d’eux-mêmes et de leur environnement.
Au quotidien, la nécessité d’une présence permanente (éducateur, parent, frère, sœur,…) s’estompe au fil des années même si le besoin d’une personne de confiance reste dominant. Nos préoccupations parentales restent « Quand nous ne serons plus là ? ». Qui pourrait remplir ce rôle quand la société se profile, comme le dicton : « Chacun pour soi et Dieu pour tous » !?
En conclusion, les autorités changent et progressent en 2024, mais les effets positifs sont trop locaux et trop lents. Les premiers pas vers l’inclusion ont permis de réelles avancées mais le grand public et nos politiques sont trop peureux. OUI, le changement est là et il est réclamé de plus en plus par les personnes elles-mêmes. OUI mais les autorités restent sur la défensive et dans l’économie financière. NON, la société n’est pas devenue une société inclusive, probablement par manque d’informations crédibles. OUI, l’inclusion deviendra une réalité mais les mentalités doivent évoluer et abolir les discriminations sociales sur le handicap.
Nouveau rendez-vous dans dix ans ?
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Article du 03/12/2024