Les maladies chroniques en Belgique : constats et leviers d’action

maladies chroniques

Par Carole Feulien, chargée de projets à la LUSS et Sophie Lanoy, directrice politique.

Responsables de 63 % des décès dans le monde, les maladies chroniques sont la première cause de mortalité. En Belgique, en 2018, près d’une personne sur trois âgée de plus de quinze ans souffrait d’une maladie chronique. Une proportion qui grimpait à 44 % chez les plus de septante-cinq ans. En effet, les maladies chroniques représentent 90 % du poids social des maladies en Belgique, notamment en raison des problèmes de limitation dans les capacités fonctionnelles.

En avril dernier, Sciensano publiait les résultats de la première enquête nationale de santé1 depuis l’épidémie de COVID-19. L’enquête révèle que les chiffres globaux pour la population sont restés stables entre 2018 et 2023-2024 en ce qui concerne la perception subjective de la santé générale et de la santé bucco-dentaire, les maladies chroniques, la qualité de vie liée à la santé, la fragilité ainsi que les limitations fonctionnelles chez les personnes âgées. Mais cette stabilité générale masque plusieurs évolutions notables.

Ainsi, le nombre de personnes souffrant de multimorbidité, c’est-à-dire plusieurs maladies chroniques à la fois, continue d’augmenter. Cette hausse ne s’observe pas chez les personnes âgées (65 ans et plus), mais bien dans les groupes d’âge de 25 à 44 ans et de 45 à 64 ans. Cela signifie que la population active en Belgique porte un fardeau de plus en plus lourd en matière de santé, alors même que le système de santé est déjà sous tension.

Dans ce numéro du Chaînon, il sera question de la manière dont la LUSS envisage la maladie chronique, quels sont les combats menés par la fédération, ses leviers d’actions et ceux des associations de patients et de proches pour impacter les politiques de santé. Différentes pistes et projets y seront présentés, menés par des associations, des soignants, ou les deux.

Le dossier exposera aussi la vision politique de la LUSS en termes de paradigme de soin pour les malades chroniques.

Vivre avec une maladie chronique

Vivre avec une maladie chronique bouleverse l’existence toute entière et peut avoir un impact important sur de nombreux aspects de la vie des personnes touchées.

Bien sûr, la maladie chronique peut recouvrir des réalités très différentes selon qu’elle soit « bénigne », stabilisée, traitée, mais elle peut aussi avoir un impact et des conséquences graves, voire fatales.

La maladie chronique touche de nombreux domaines de l’existence :

  • impact sur la santé physique bien sûr : douleurs, fatigue, perte d’autonomie, diminution de l’espérance de vie ;
  • impact sur la santé mentale : choc du diagnostic, peur du futur, anxiété, dépression … ;
  • impact financier : perte de revenus d’une part, et d’autre part des frais supplémentaires : hospitalisation, traitements, médicaments, dispositifs médicaux, recours aux services, aux transports. La facture peut être très élevée et plonger les familles dans la précarité ;
  • impact sur la vie sociale et familiale : repli sur soi, arrêt temporaire ou définitif de certaines activités, éclatement familial, divorce, un proche qui devient aidant proche …

Et à cela s’ajoutent tous les effets collatéraux : perte de statut, discriminations, aidant proche contraint à diminuer son temps de travail, etc.

Principaux problèmes rencontrés

Être touché par une maladie chronique peut entrainer le patient dans un véritable parcours du combattant.

Diagnostic

Obtenir un diagnostic peut déjà être une étape compliquée. Pour les personnes atteintes de maladies rares, de maladies non reconnues, non connues, pour lesquelles il n’y a pas ou pas encore de preuves scientifiques ou de traitement, cette étape du diagnostic constitue un jalon essentiel dans le parcours du patient. En effet, sans reconnaissance et sans diagnostic, l’accès aux traitements, aux statuts, à l’incapacité de travail est inexistant. Certains patients connaissent des années d’errance diagnostique avant d’obtenir une réponse.

Bien que mon lipoedème se soit déclaré à la puberté, j’étais dans une ignorance totale quant à l’existence de cette maladie chronique. J’ai dès lors vécu une errance médicale extrêmement longue, puisqu’elle a duré 40 ans, jusqu’à ce que je puisse enfin être diagnostiquée, à l’âge de 53 ans.

L’hyperémèse gravidique est encore trop souvent considérée comme d’ordre psychologique. Les femmes sont confrontées à peu de considération de la part du monde médical. Comment dès lors être reconnues dans ce que l’on vit par le système ?

Une fois diagnostiqués, les patients rencontrent quantité d’autres difficultés. Lors de ses concertations avec les représentants de patients, la LUSS tient un cadastre des besoins prioritaires transversaux afin de remonter les signaux du terrain vers les autorités politiques et institutionnelles, et pour trouver des réponses et pistes d’amélioration au sein des nombreux mandats qu’elle occupe.

Accès aux soins de santé

L’accès aux soins de santé, tant d’un point de vue pratique que financier, est le principal signal qui arrive à la fédération.

L’accès financier pour toutes et tous n’est pas encore une réalité malgré les nombreux mécanismes existants tels que le maximum à facturer, l’intervention majorée, l’application du tiers payant. Les représentants de patients témoignent régulièrement de difficultés financières qu’ils rencontrent quand arrive la maladie.

En effet, quand la maladie est là, les frais de soins de santé augmentent (hospitalisation, traitements, médicaments dispositifs médicaux, services divers …) et d’autre part, les revenus diminuent en raison d’une incapacité de travail temporaire ou définitive, d’un mi-temps médical, ou encore d’aidants proches qui doivent mettre leur carrière entre parenthèses pour s’occuper de leur proche.

Une personne de notre ASBL qui avait un emploi intermittent (artiste) vivait dans la précarité à cause de la perte de 30 % de son salaire. Elle a dû reprendre son boulot alors qu’elle suivait encore un traitement avec des rayons.

Il est compliqué d’obtenir le remboursement du médicament et il n’est effectif que jusque l’âge de 18 ans. C’est pourtant un trouble qui dure toute la vie et les gens arrêtent de se médicamenter à 18 ans par manque de moyens.

L’accès pratique aux soins de santé est également problématique pour différentes raisons : les pénuries de personnel soignant, les délais d’attente, les déplacements vers des centres de soins, les déserts médicaux … sont autant de problématiques rencontrées par les patients. Là aussi, la LUSS constate des conséquences financières non négligeables sur les patients, et un risque de renforcement d’une médecine à deux vitesses. La population se diviserait alors en deux « groupes » : une partie de la population qui accède plus facilement et plus rapidement à certaines spécialités ou examens lorsqu’elle dispose d’une assurance privée ou est en mesure de payer des suppléments, et « les autres » qui doivent en plus faire face au déconventionnement de certaines spécialités médicales.

Les temps d’attente pour consulter un spécialiste augmentent et les conséquences sont inquiétantes : soit le patient prend le premier disponible et ça complique le suivi ; soit il attend autant que possible et risque de se retrouver aux urgences (qui sont déjà engorgées). Ça déplace le problème et l’impact sur la qualité des soins est important. Par ailleurs, leur indisponibilité peut parfois aussi retarder le diagnostic, ce qui peut avoir un impact important sur l’état de santé des personnes.

Les frais médicaux de la chirurgie reconstructrice ne sont que partiellement pris en charge.
La reconstruction du sein est remboursée, mais ne sont pas pris en charge par la mutuelle, deux séances de lipofilling (990 euros/par séance) et une injection de collagène (1200 euros), permettant un résultat psychologiquement satisfaisant. Le montant total à ma charge est d’environ 3200 euros. Sans assurance privée, impossible.

Autres obstacles

D’autres obstacles rencontrés par les patients sont l’accès à la bonne information, la complexité administrative, la fracture numérique et in fine le non-recours aux droits. L’impact de ces obstacles est d’autant plus important encore lorsqu’il s’agit de patients en situation de vulnérabilité financière, sociale ou intellectuelle.

Les patients chroniques (et surtout, rares) sont souvent confrontés à une charge administrative liée à leurs soins qui nécessiterait d’être accompagnés par une personne spécialisée et qui est source de stress supplémentaire. Il est fréquent que des patients précaires ou précarisés par leur maladie ou son annonce, rencontrent des difficultés à comprendre les informations données par les médecins ou n’aient pas recours à leurs droits, car ils ne les connaissent tout simplement pas.

Je suis face à des patients très précaires, qui rencontrent des difficultés à comprendre les informations données par les médecins.

Il y a des personnes qui sont complètement perdues face aux démarches administratives à faire, qui ne sont pas alphabétisées…
Le développement du numérique pose énormément de problèmes aussi, car énormément de personnes n’arrivent pas à utiliser Internet !

Ce que défend la LUSS

Pour enrayer ces difficultés, la LUSS défend, entre autres :

Accessibilité et qualité

  • mise en place de mesures en faveur d’un accès équitable pour tous et toutes à des services et des soins de qualité, que ce soit en matière d’accessibilité financière ou pratique ;
  • amélioration de l’accès aux médicaments et dispositifs médicaux ;
  • mise à disposition pour toutes et tous d’une information de qualité, accessible tant au niveau de la forme que du fond ;
  • attention particulière aux discriminations en matière de santé (assurances …) ;
  • attention particulière aux publics plus vulnérables, que ce soit sur les plans social, financier, de la santé mentale … ;
  • simplification administrative, tant pour les patients que pour les associations ;

Valorisation et reconnaissance

  • reconnaissance du savoir expérientiel des patients au sujet des maladies qui les concernent ;
  • reconnaissance et soutien aux associations de patients et de proches dans leurs missions d’information, de soutien et d’orientation (par des moyens financiers et une place officielle et reconnue dans le système de soins de santé) ;

Prise en compte des besoins spécifiques

  • prise en compte des spécificités des malades chroniques rares ou atteints de pathologies complexes et de comorbidité, et la mise en place d’une organisation des aides et soins répondant à leurs besoins ;
  • prise en compte des spécificités des malades chroniques touchés par le handicap et la mise en place d’aide et de soins répondant à leurs besoins spécifiques ;
  • mise en place d’une politique d’emploi adaptée aux malades chroniques ;

De manière plus globale :

  • renforcement de la prévention et de la promotion de la santé afin d’agir en amont de l’apparition des maladies chroniques ;
    focus santé dans toutes les politiques et à tous les niveaux de pouvoir ;
  • eSanté sécurisée, inclusive, et accessible à toutes et tous ;
  • mise en place de conditions permettant aux patients l’exercice de leurs droits.

L’expertise et les leviers de la LUSS dans le domaine des maladies chroniques

S’il est souvent rappelé aux patients leur responsabilité de veiller à leur santé et de soigner leur style de vie pour éviter la maladie, le système de soins a également la responsabilité de se mettre à l’écoute de leur expertise du vécu, afin que chacune et chacun puisse bénéficier de soins accessibles, de qualité et adaptés.

La LUSS siège dans deux organes participatifs particulièrement attentifs à la voix des patients.

Observatoire des maladies chroniques

L’Observatoire des maladies chroniques est un lieu de participation au sein de l’INAMI. Il implique des patients issus d’associations de patients et de proches aux côtés de représentants des mutuelles. L’Observatoire a pour mission d’identifier les problèmes et les points d’amélioration en matière de prise en charge des maladies chroniques, ainsi que de suivre les solutions apportées. C’est un organe consultatif qui remet des avis à la demande du Ministre ou de sa propre initiative, aux organes décisionnels concernés.

Dans cet organe, la LUSS peut apporter la voix des patients dans la rédaction des avis, mais aussi faire part de problématiques vécues par les associations de patients.

Forum des patients

Le Forum des patients a pour mission de prendre en compte les besoins des patients lors de l’élaboration et de l’évaluation de la politique de l’INAMI. Il s’agit d’un lieu qui permet un dialogue direct entre les fédérations d’associations de patients et de proches et l’INAMI. Il permet de remonter les besoins des patients à l’INAMI afin de trouver des solutions. La présence de la LUSS à cet endroit lui permet d’être informée directement par l’INAMI des mesures susceptibles d’avoir un impact sur les patients.

Mandats

Par ailleurs, la LUSS occupe d’autres mandats qui peuvent bénéficier aux patients chroniques en matière de médicaments, emploi, droits du patient, handicap, eSanté…

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