Le Chaînon

Témoignage : Association X Fragile Belgique

xfragile

Par Dominique Damas, Présidente de la Fondation privée FFXF (ffxf.be), Présidente honoraire de l’AXFB asbl (www.x-fragile.be), Maman de trois enfants X fragile

Que dire et que taire ? De nos joies, de nos peines. De nos échecs, de nos victoires. De nos peurs, de nos doutes, de nos angoisses, de nos espoirs et de nos rêves. Que raconter de nos vies, de nos embûches, de notre réalité, de notre quotidien, de l’incompréhension… Que partager et que préserver ? Difficile équilibre. Entre préservation de l’intimité et devoir de transmission.
Combien de fois cette question me hante depuis quinze ans, depuis le diagnostic ?

Diagnostic

Il y a quinze ans, le mercredi 18 novembre 2009, la Professeur Nassogne des Cliniques Universitaires Saint-Luc à Bruxelles nous annonçait avec beaucoup d’humanité un triple diagnostic : nos trois enfants sont atteints du syndrome X fragile. Elle a pris le temps de nous recevoir dans son cabinet, à l’abri des regards, son téléphone coupé. Elle était accompagnée d’une assistante neuropédiatre. Les trois garçons étaient avec nous. Benoît avait trois ans et demi, Quentin, deux ans, et Diego, cinq mois.

En l’écoutant, le couperet est tombé. Notre sang s’est glacé. Nous avons eu bien du mal à respirer. Il nous a fallu quelques secondes pour reprendre nos esprits, reprendre notre feuille A4 remplie de questions. Nous avons dû lutter contre nous-mêmes pour rester concentrés. Avancer, comprendre. Mieux nous comprenons, mieux nous agissons. Nous avons ainsi discuté une heure et demie avec la Professeur Nassogne. Quel soulagement ! Elle a pris le temps, elle a répondu au mieux à chacune de nos questions, elle était disponible pour nous et uniquement pour nous.

Un peu de théorie

Elle nous a ainsi expliqué en quoi consistait le syndrome X fragile. C’est une maladie génétique rare. C’est la première maladie génétique héréditaire qui cause une déficience intellectuelle. C’est aussi la deuxième maladie génétique après la trisomie 21. Retard de psychomotricité, retard de langage, troubles du comportement, otites à répétition, difficultés de sociabilisation sont les principaux signes de la maladie. Le syndrome se transmet par la mère, elle-même porteuse de la prémutation.

Une seule certitude

L’annonce fut un véritable tsunami dans notre vie personnelle, notre vie de couple et notre vie de famille. En sortant de Saint-Luc, je n’étais plus sûre de grand-chose. Mais François, mon mari, et moi étions certains d’une chose : nous ferions tout pour mener nos enfants le plus loin possible sur le chemin qui est le leur. Nous avons à cœur, lui et moi, de faire le maximum pour nos enfants et de faire progresser la situation de tout enfant différent en Belgique, dans tout environnement, qu’il soit scolaire, parascolaire, médical, résidentiel ou autre.

Apprendre à se battre

Dans cet étonnant chemin qu’est notre vie, nous avons vécu heureusement de beaux moments. Mais nous avons aussi dû apprendre à nous battre quand certains professionnels refusaient de nous écouter et/ou de respecter nos droits et ceux de nos enfants.

Refus de voir…

Comment accepter que notre pédiatre, pendant neuf mois, ne se soit pas inquiétée de l’évolution anormale de notre aîné Benoît alors qu’elle avait suivi un stage de six mois en médecine sur le syndrome X fragile ?
Ne pouvait-elle pas accueillir mes questions et mes doutes ? À défaut d’y répondre, pourquoi ne m’a-t-elle pas conseillé d’aller rencontrer un service de neuropédiatrie ? Pourquoi a-t-elle ri quand je lui ai dit mes démarches pour rencontrer une neuropédiatre ? Quand je m’étonnais que Benoît ne parle pas à vint-sept mois, pourquoi ne m’a-t-elle pas conseillé de faire un test ORL ?

Que dire et que taire ?

Que dire de ces situations où le droit de nos enfants est bafoué ? Le jour où une assistante sociale nous apprend, en pleine réunion pour un autre enfant, le diagnostic d’autisme d’un de nos enfants. Nous ne le savions pas encore. Le médecin ne nous l’avait pas encore annoncé mais le médecin l’avait déjà annoncé à l’assistante sociale. La loi sur le droit du patient stipule clairement que seul un médecin ou un psychologue peut faire une annonce de diagnostic. Et le RGPD (NDLR : Règlement Général sur la Protection des Données) interdit la transmission d’une information personnelle à un tiers sans autorisation de la personne ou de son représentant légal. Dans cette situation donc, deux lois transgressées… en une fraction de seconde. Imaginez digérer une annonce de diagnostic dans une réunion qui n’avait rien à voir avec ce sujet et poursuivre la réunion en essayant de faire abstraction de cette nouvelle… Périlleux, voire impossible ! Et ô combien douloureux !

Que dire et que taire ? Aucune envie d’attirer la pitié. Crainte de faire peur ou d’attiser la méfiance face à notre réalité. Besoin aussi de dénoncer certaines situations surréalistes… mais à quel prix parfois ? Alors j’écris, encore et encore. Pour laisser une trace. Pour un jour partager notre histoire. Et pour qu’un jour notre histoire, comme celle de tant d’autres familles, tant d’autres personnes porteuses du syndrome, serve à faire bouger les lignes, évoluer les mentalités, faciliter le quotidien d’autres.

Ne fût-ce qu’un tout petit peu… ce serait déjà bien ! Alors notre histoire, comme celles de toutes ces familles concernées, n’aura pas été vaine.

En quinze ans, j’ai donné quatre-cent-septante-deux formations, sensibilisations et conférences sur le handicap mental, le syndrome X fragile, l’inclusion des personnes porteuses de déficience (en milieu scolaire ou dans les mouvements de jeunesse), et sur l’art d’annoncer une mauvaise nouvelle ou un diagnostic de handicap.

Autant il y a quinze ans, nous recevions régulièrement des appels de parents horrifiés par l’annonce qu’ils ont reçue d’un diagnostic, ou terriblement affectés par l’accueil et l’accompagnement parfois inhumains de leur enfant dans le milieu hospitalier ou médical, autant depuis près de cinq ans maintenant ces appels sont rares voire inexistants. Aujourd’hui aussi depuis près de quatre ans, nous n’avons plus d’écho de diagnostic tardif (soit un jeune qui est diagnostiqué à douze, quinze ou vingt ans).

Nous pouvons nous en réjouir. Le travail réalisé par le Conseil d’Administration de l’association X fragile Belgique porte ses fruits. Aujourd’hui, on ne compte plus les équipes qui sont sensibilisées, qui accueillent avec bienveillance et patience les personnes déficientes intellectuelles, offrent un espace calme et de qualité pour permettre à ces personnes de se sentir bien. On ne compte plus non plus, par exemple, les hôpitaux qui invitent les parents à accompagner leur enfant déficient (jeune ou adulte) en salle d’opérations.

Certes, il reste encore des choses à améliorer, comme le temps alloué à une annonce de diagnostic. Pour cela, la Plateforme Annonce Handicap se bat depuis des années maintenant pour que le médecin puisse compter une double consultation et prendre ainsi le temps d’accueillir le patient, de l’accompagner au moment de l’annonce et d’accueillir pleinement les émotions vécues par le patient et son entourage.

On peut se réjouir aussi qu’aujourd’hui plusieurs facultés de médecine aient introduit l’art de l’annonce d’une mauvaise nouvelle ou d’un diagnostic dans le parcours académique.
Il serait heureux que toutes les facultés belges de médecine en fassent de même.