Témoignage : L’inclusion, parlons-en !

Le Mouvement Personne D’Abord est une association de personnes qui présentent une déficience intellectuelle. Ces personnes apprennent à comprendre ce que c’est avoir des droits et à les défendre.
Nous apprenons à nous autodéterminer pour pouvoir nous autoreprésenter. Nous décidons par nous-mêmes. Nous apprenons à gérer notre association. Nous voulons être comme tout le monde, nous sommes des citoyens à part entière.
Nous défendons nos droits à l’autonomie, à la prise de parole, à l’éducation, à l’emploi, à une vie de couple. Nous organisons des sensibilisations et des formations pour faire évoluer les mentalités.
Nous organisons des groupes de parole, pour parler de nos problèmes, écouter les autres et réfléchir aux solutions. Nous participons à des réunions organisées par les villes, par l’AVIQ, par le Conseil Consultatif Wallon… pour faire entendre notre voix.
Alors aujourd’hui, nous souhaitons partager avec vous.
Comment démarrer, dans la société, notre vie d’adultes ? Tout s’informatise, on supprime les guichets dans les gares. La société évolue bien trop vite pour nous. L’informatique, les services de plus en plus impersonnels. La fracture numérique nous empêche de nous sentir inclus dans la société.
Prendre le bus, il y a la carte MOBIB. Prendre le train, il faut prendre son ticket à une borne. Retirer de l’argent, il n’y a plus de guichet dans les banques. Il n’y a plus de mistercash. Dans certaines communes, il faut prendre rendez-vous pour être servi. La fracture numérique empêche l’inclusion.
L’inclusion, on n’y est pas encore.
Beaucoup de personnes qui présentent une déficience intellectuelle vivent en institution, alors que si elles avaient l’aide adéquate, elles pourraient vivre leur autonomie.
Nos contacts en voyageant en bus, en train, nous permettent de parler avec les autres usagers des transports en commun. Cela nous fait du bien.
Être avec tout le monde, cela suppose de montrer beaucoup de bienveillance, de s’adapter au regard des autres, au rythme des autres.
Se former ? Quand on est adulte, rien n’est à notre niveau, il faut aussi s’adapter, on apprend et on transmet notre savoir aux autres, c’est ça l’inclusion.
On veut apprendre, mais on n’apprend pas assez vite pour la société.
Et ça c’est fatigant. Tout va trop vite !
Quand on a fini l’école, qu’on devient adulte, les gens continuent à nous regarder comme des enfants. Pourtant, nous montrons que nous sommes des adultes. On essaye de faire comme tout le monde. Nous prenons le bus, on cède notre place aux personnes âgées. Dans les magasins, on nous regarde, les gens remarquent que nous sommes en difficulté, mais ils ne nous aident pas. Les gens ont tendance à se moquer de nous. Surtout les jeunes. Les gens nous tutoient très facilement. Au Mouvement Personne D’Abord nous présentons maintenant un petit carton sur lequel il est indiqué « vous me discriminez. Je ne suis pas ce que vous pensez que je suis », ce carton est fait pour attirer votre attention concernant votre considération pour notre personne. Cela fonctionne.
Des services existent pour nous aider à bien grandir, à bien évoluer, à être « comme il faut ».
Je vais vous expliquer mon expérience vécue, il y a quelques semaines. J’ai été dans un service qui aide les personnes qui présentent une déficience intellectuelle à être occupé « intelligemment » la journée. Ce service est agréé et subventionné par l’AVIQ. Cela fait dix ans que je suis inscrit dans ce service. Grâce à ce service j’ai pu aller rendre service dans des associations citoyennes (le relais social, la maison de repos…). J’ai travaillé bénévolement dans ces endroits. J’aimais mon travail. Dernièrement, j’ai eu un souci de santé et je n’ai plus su assurer mon bénévolat. Cela a duré quatre mois. À la fin de cette période difficile pour moi, mais durant laquelle je me suis remis en question, j’ai eu l’occasion avec le Mouvement Personne D’Abord, de les aider dans un supermarché coopératif. Une fois, deux fois. Cela se passe bien et j’aime ce que je fais. Dès lors, je me suis dit que je pourrais recommencer mon bénévolat avec l’autre institution. Je me suis senti prêt à reprendre. Mal m’en a pris.
J’ai demandé une réunion avec le service. Je leur ai téléphoné, j’ai laissé un message au répondeur. Il a fallu attendre plusieurs semaines avant que le service ne reprenne contact avec moi. Et quand le service l’a fait, l’éducateur était très fâché. Je me suis fait gronder comme un petit garçon. J’aurais voulu que le Mouvement Personne D’Abord soit présent au rendez-vous. Le Mouvement Personne D’Abord a proposé des dates mais aucune ne convenait au service. Je me suis donc rendu à cette réunion tout seul, comme un adulte que je suis. Cela ne s’est pas bien passé. Le service m’a reproché d’être trop impliqué au Mouvement Personne D’Abord. Il a prétendu que je ne leur donnais pas de nouvelles. Alors que chaque fois que je téléphonais, c’était le répondeur que me répondait. Et voilà qu’il m’annonce la fin de notre collaboration, comme ça. Je n’ai eu aucun recours possible. J’ai été exclu de toutes les activités proposées par cette institution. Jeté comme un malpropre parce que je participe aux activités du Mouvement Personne D’Abord.
Tout est fini entre nous. Je suis déçu, en colère. Je me sens discriminé. Il s’agit d’un service qui s’occupe de personnes qui présentent une déficience intellectuelle et il fait exactement la même chose que les gens dans la société. Cela veut dire « si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous », si tu ne suis pas ce que eux ont décidé pour toi, tu es exclu. Tu n’as pas de recours possible.
En ce qui me concerne, je vous le dis, je vais faire appel à UNIA qui est le centre interfédéral pour l’égalité des chances et les luttes contre les discriminations. Je vais déposer mon signalement. J’ai la boule au ventre. Je me sens sali.
Des situations comme la mienne, nous en vivons beaucoup au Mouvement Personne D’Abord. C’est pour cela que le Mouvement Personne D’Abord existe. Pour défendre nos droits, EXISTER, être adulte, responsable, comme tout le monde, inclus dans la société.
Mais, si même les services qui sont censés nous accompagner ne le font pas, où sommes-nous en 2024 ?
C’est la question que nous nous posons tous les jours au Mouvement Personne D’Abord.
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Article du 03/12/2024