Espaces publics numériques : la variable d’ajustement de la fracture numérique ?

Sur base d’une interview avec Eric Blanchart Chargé de mission à TechnofuturTIC, Coordinateur des EPN wallons

En 2024, les Espaces publics numériques (EPN) de Wallonie fêtent leur vingtième anniversaire. Initialement conçus pour être des « lieux d’accès » à Internet, ils sont aujourd’hui des lieux pour favoriser l’autonomie de tous dans l’environnement numérique.
En vingt ans, beaucoup de choses ont changé, que ce soit au niveau technologique ou au niveau de la digitalisation galopante des services. Si, avant la période Covid, une minorité des demandes portaient sur l’accès à des services en ligne, on estime à présent que près de 90% des EPN reçoivent ce type de demandes.

Des chiffres interpellants... et probablement sous-estimés

Selon AB-REOC7, en 2021, 46% des Belges de 16 à 74 ans présentaient une vulnérabilité numérique8. Des chiffres qui font voler en éclat le mythe des « digital natives », cette génération censée être née avec un smartphone dans la main et, partant, totalement à l’aise avec les usages numériques.
Des chiffres qui sont probablement également sous-estimés. Admettre qu’on ne « sait pas », qu’on « n’y arrive pas » aurait en effet pour les publics concernés quelque chose de « honteux », comme s’ils admettaient que c’est leur propre incapacité à « suivre » les a poussés à la marge d’une société qui continue d’avancer sans eux.
La vulnérabilité numérique transcende les âges, les classes sociales et les catégories de revenus. Pire : elle peut survenir à tout moment, à la faveur d’une évolution technologique pour laquelle on n’est pas équipé, de la digitalisation d’un service au public – qui va souvent de pair avec la suppression totale ou partielle du guichet humain équivalent. Une fois la vulnérabilité numérique créée, il est très difficile de s’en extraire. Les techniques et usages continuent de progresser, et le fossé de se creuser.

(re)Mettre le pied à l’étrier

Le rôle premier des EPN est de « favoriser la participation citoyenne de tous à la Société de l’information » (voir encadré ci-dessous).
Pour cela, chacun des 173 EPN wallons (et plus de 220 dès septembre 2024 !) offre au public des initiations et un accompagnement aux usages numériques, donnés par des animateurs qualifiés.
La variété des services proposés diffère d’un EPN à l’autre, en fonction des affinités des animateurs et de la demande du public de l’EPN. Si certains vont jusqu’à monter des projets (initiation à la programmation, utilisation d’un drône…), tous ont comme vocation de base l’inclusion numérique.
Les services « de base » peuvent aller de l’allumage et la prise en main d’un smartphone, à la récupération de données perdues, à la consultation de sites Internet (par exemple celui du Forem dans le cadre d’une recherche d’emploi). Rappelons que dans les chiffres cités plus haut, une part importante de la population en situation de vulnérabilité numérique est en réalité totalement à l’écart (ce qu’on appelle le public éloigné d’Internet).
Depuis leur lancement en 2004, et particulièrement depuis le Covid, les EPN ont constaté une forte progression dans les demandes d’assistance liées à l’accès aux droits et services (démarches en ligne). Les services au public qui se digitalisent deviennent très (trop) souvent l’option par défaut, et non une alternative à un service « humain », avec un guichet physique ou une ligne téléphonique suffisamment accessible. Les publics en situation de vulnérabilité numérique, et on a vu qu’ils étaient nombreux, se retrouvent de facto dans l’impossibilité d’exercer leurs droits, confrontés à une administration qui, à vouloir optimiser ses procédures et rentabiliser le temps de ses travailleurs, crée un engorgement dans des structures qu’elle ne finance par ailleurs pas de manière structurelle.
Les EPN sont en effet financés sur fonds propres par les structures qui les portent (CPAS, communes, provinces, ASBL…).
Dans ces conditions, les EPN, qui sont ouverts à mi-temps (entre 16 et 20h par semaine en moyenne), sont rapidement surchargés, et les animateurs,
pas nécessairement formés à l’accompagnement de ce type de démarches. Sans parler des questions de confidentialité : comment présenterl’utilisation de services tels que itsme®, d’applications bancaires, ou de sites comme masanté.be en maintenant le respect de la vie privée de l’utilisateur ?

Les défis des EPN

Outre l’évidence du manque de moyens financiers et humains, les EPN souffrent d’un manque criant de visibilité. 80% des Wallons ignorent l’existence des EPN (vous-même, qui lisez cet article, connaissiez-vous les EPN ?).
Par ailleurs, la plupart des EPN sont adossés à des structures telles que des CPAS ou des bibliothèques, qui ne sont pas « neutres ». Entrer dans une bibliothèque peut être intimidant, tout comme pousser la porte d’un CPAS peut ne pas aller de soi pour le grand public.
Les lieux d’accompagnement doivent donc être à la fois plus nombreux, dans des espaces plus neutres, avec plus de moyens humains et financiers, et avec une meilleure homogénéité des services proposés.
Mais sans une réelle prise de conscience, la situation ne fera que s’aggraver. La digitalisation a ses vertus, mais elle ne peut être l’option par défaut.
Le numérique doit être une alternative et pas une fin en soi.
Les citoyens privés de l’accès à leurs droits sont loin d’être une exception, et leur nombre croît de manière exponentielle. De nombreux projets de digitalisation sont encore en cours de développement, et s’ils ne s’accompagnent pas de mesures visant à l’inclusion de tous, ils promettent d’exclure de plus en plus de monde.
Les administrations publiques, très promptes à s’auto-congratuler lors de la digitalisation d’un nouveau service, semblent particulièrement « déconnectées » de la réalité de leurs administrés et des EPN. Un comble !

Qu’est-ce qu’un EPN ?

Un espace public numérique est un espace d’apprentissage et de médiation des usages numériques, qui a vocation de favoriser la participation citoyenne de tous à la Société de l’information. L’espace propose des services diversifiés d’accès, de formation et d’accompagnement, adaptés aux besoins de ses publics.
Spécialisé ou généraliste, fixe ou mobile, l’espace est intégré à la vie locale et contribue à l’animation numérique de son territoire. Le label « Espaces publics numériques de Wallonie » est initié par le gouvernement wallon et porté aujourd’hui par le Ministre du Numérique pour lutter contre l’exclusion numérique et favoriser la participation citoyenne de tous à la Société de l’information. […]

Le label « Espace public numérique de Wallonie » garantit au public :

  • une offre adaptée de services : accès, initiation, sensibilisation, formation, médiation ;
  • un accompagnement à la fois technologique, pédagogique et humain ;
  • une animation professionnelle par un ou plusieurs animateurs qualifiés ;
  • une infrastructure et des équipements performants ;
  • une ouverture publique de minimum 16 heures par semaine ;

[…]

Lieux de rencontre, les Espaces publics numériques de Wallonie utilisent la technologie comme outil de dialogue. Ils s’intègrent à la vie locale et contribuent à l’animation numérique du territoire.
Les Espaces publics numériques de Wallonie coopèrent entre eux à travers un réseau régional et répondent de leurs engagements à l’égard de la Région.

Source : https ://epndewallonie.be/a-propos-des-epn/

Il y a un EPN près de chez vous : https ://epndewallonie.be/trouver-un-epn/

Et à Bruxelles ?

À Bruxelles, les associations (et autres organismes) qui luttent contre la fracture numérique sont fédérés par le réseau CABAN (Collectif des Acteurs Bruxellois de l’Accessibilité Numérique).
Le site web caban.be recense 34 EPN et 13 autres opérateurs.