Interview : Maison d’Accueil Familial le Boistissandeau, un projet unique en son genre

Lors de chaque édition du TEFF (The Extraordinary Film Festival), la LUSS parraine une séance suivie d’un débat. Ce festival unique en Belgique propose au grand public, aux professionnels et aux personnes concernées une réflexion sur l’image de la personne en situation de handicap, dans ses capacités, bien loin des clichés usuels.
En 2023, la séance ciné-débat avait été organisée autour du film Mon enfant après moi (voir Le Chaînon n°64, septembre 2023). Ce documentaire réalisé par Martin Blanchard aborde une question sensible autant que douloureuse : qu’adviendra-t-il, à mon décès, de mon enfant porteur de handicap ?
Le film a été entièrement tourné dans la Maison d’Accueil Familial le Boistissandeau. Ce château de la commune des Herbiers, en Vendée, est un lieu d’accueil unique en son genre, créé et géré par l’association Handi-Espoir. Le parent et son enfant (parfois d’âge adulte !) porteur de handicap y entrent et y séjournent ensemble jusqu’au décès de l’un ou l’autre. L’enfant s’intègre ainsi progressivement à la communauté, ce qui adoucit la transition vers une vie sans son parent. Ce qui ne se fait pas toujours sans heurt…
Voici l’interview du directeur de l’établissement, Nicolas Marichal.

Quelle est l’histoire du Boistissandeau ? Qui est à l’origine du projet ?

Vers le milieu des années 1990, la famille de Guillaume, jeune adulte en situation de handicap moteur, ne trouvait pas d’établissement adapté à proximité. Cette famille, avec d’autres, a fondé l’association Handi-Espoir, pour imaginer l’accueil des enfants porteurs de handicap devenus adultes. Avec le soutien du Département de Vendée, un premier établissement a été ouvert à Coëx. D’autres établissements ont suivi, les services ont évolué (d’accueil de jour à service d’accompagnement à domicile…) et chaque nouveau projet a participé à la construction de l’idée qui deviendra, en 2007, le Boistissandeau.
Le Département de Vendée possédait le Château du Boistissandeau, qui n’était à l’époque pas affecté mais qui devait l’être pour un projet cultuel ou social. Ce sera la Maison d’Accueil Familial.
Il y avait évidemment peu de littérature sur le sujet ! Tout était à inventer, à commencer par la structure administrative et financière du projet. L’accueil des aînés et celui des personnes en situation de handicap sont des structures et des budgets indépendants dans le Code de l’action sociale et des familles, et aucun projet ne mêlait les deux. Le casse-tête de l’équilibre budgétaire continue d’évoluer avec le temps, puisqu’au gré des entrées et des décès, la répartition et l’équilibre entre le nombre de personnes âgées et de personnes en situation de handicap fluctue.
Trente ans après sa création, l’association Handi-Espoir accompagne, d’une manière ou d’une autre, environ trois cents personnes, et occupe entre cent-cinquante et cent-quatre-vingt salariés, sur tous ses sites.

Comment se fait-il qu’aucun autre établissement comme le Boistissandeau n’existe ?

Le film Mon enfant après moi a mis le Boistissandeau dans la lumière ! Les sollicitations ne manquent pas, venant de familles ou d’associations qui souhaitent créer des projets de même inspiration ; nous avons même reçu une association autrichienne ! Rien au niveau de l’État ou des départements français, pour autant. La difficulté liée au montage financier n’aide probablement pas. Il faudrait une volonté politique pour intégrer cet « entre-deux » au Code de l’action sociale et des familles.
Du reste, dans l’esprit de Handi Espoir, l’idée n’est pas de multiplier ce type de structures résidentielles. Dans un monde idéal, les mentalités et les cultures évoluent, les personnes en situation de handicap sont plus largement intégrées à la société, sociabilisées dès l’école, et les options sont plus nombreuses. Autant que possible, nous aimerions privilégier l’accompagnement à domicile, promouvoir les droits et capacités à faire pour soi-même, l’autodétermination, le droit commun par l’habitat inclusif, et la promotion de la citoyenneté de la personne.
L’idée du Boistissandeau n’est pas de garder toutes les personnes en établissement le plus longtemps possible ! Certains enfants du Boistissandeau ont trente ans lorsque leur parent décède, et ils n’ont pas nécessairement envie de vivre entourés de personnes âgées.
De plus, le Boistissandeau est relativement isolé par rapport à « la ville », la culture, les transports… tout cela ne facilite pas leur inclusion à la société.
C’est d’ailleurs un travail très important qui est réalisé au Boistissandeau : préparer l’enfant à la séparation d’avec son parent… et préparer le parent à l’idée que son enfant puisse vivre, et même peut-être bien vivre, sans lui !

Justement, au point de vue humain, comment cela se passe-t-il ?

La Vendée est un territoire dans lequel les valeurs judéo-chrétiennes sont fortement ancrées. Un enfant porteur de handicap peut être vécu comme une croix à porter, une vie de sacrifice consenti pour la famille. Dans les familles qui vivent le handicap, le binôme parent-enfant présente parfois un lien exclusif, assez fermé. Le handicap a pu être source de rupture professionnelle, familiale, de couple, avec le voisinage… l’habitude du collectif s’est perdue.
Dans la cellule parent-enfant, le parent peut être omniprésent, omniscient, omnipotent et autocentré sur l’enfant. Comment l’enfant peut-il exprimer son individualité face à un parent qui a pris l’habitude de penser à sa place et d’avoir un avis sur tout ?
La première étape est donc d’ouvrir ce lien exclusif. Encourager les contacts avec les autres résidents, créer le collectif au départ d’une collection d’individualités et faire accepter l’idée que l’enfant soit pris en charge par « d’autres », en l’occurrence le personnel. Le transfert de responsabilité vers les professionnels n’est pas simple à négocier. C’est le savoir-faire d’une vie que le parent « transmet », « confie ». Cela peut occasionner un sentiment de jalousie chez le parent qui voit son enfant « exister sans lui », voire de trahison lorsqu’un des salariés décide de changer d’employeur. Nous avons d’ailleurs dû abandonner l’idée d’attribuer des « référents » aux résidents.
Mais à l’usage, les parents voient les enfants s’épanouir, se révéler, prendre leur place et se créer une identité propre. Dans la majorité des cas, c’est une révélation positive, les désirs s’expriment et la personne « naît ». Le choc est parfois abrupt pour les parents lorsqu’ils constatent que leur enfant « s’en sort » sans eux. C’est parfois une vie entière de sacrifices qui est remise en question.
À l’avenir, le rêve serait que le Boistissandeau n’ait plus de lieu d’être parce que la société permettrait l’inclusion de la personne en situation de handicap de manière beaucoup plus élargie. L’association se focaliserait sur l’accompagnement à domicile. Mais cela implique, outre une évolution des mentalités à l’échelle de la société, une réflexion beaucoup plus précoce sur le projet de vie de la personne. Encore trop souvent, la question de l’après-parent ne se pose que lorsque le parent âgé est déjà à la limite de la dépendance. Le projet de vie doit se construire le plus tôt possible.