« Pas de place d’accueil pour les hommes seuls ». Quelles conséquences pour le patient ?

Medimmigrant

Fin août 2023, la Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Nicole De Moor, faisait une annonce inquiétante : désormais les hommes seuls qui demanderaient la protection internationale en Belgique (= l’asile) ne seraient officiellement plus accueillis dans le réseau d’accueil de Fedasil. Ceci en raison du manque de places et afin de pouvoir donner la priorité aux familles et aux personnes vulnérables. Une liste d’attente était alors créée pour les demandeurs de protection internationale (DPI) lésés.
Le 8 septembre dernier, 2.338 personnes figuraient sur cette liste d’attente.

Cette décision a suscité de nombreuses protestations. Selon la « Loi accueil », le demandeur de protection internationale
(ci-après DPI) a droit à l’accueil, c’est-à-dire à une aide matérielle sous forme de nourriture, de vêtements, d’accompagnement médical, social et psychologique, d’accès à une aide juridique et à des services tels que des interprètes ou des formations. Les constitutionalistes dénoncent en outre le fait que Nicole De Moor (pouvoir exécutif) ignore la jurisprudence du Conseil d’État (pouvoir judiciaire) qui la condamne à fournir un accueil. Selon les constitutionnalistes, il s’agit d’une violation claire et grave de l’État de droit et du principe de sécurité juridique.

Mais qu’est-ce que cette décision signifie concrètement pour les hommes DPI seuls ?

Il est possible que certains DPI à qui Nicole De Moor n’a pas octroyé de places d’accueil trouvent refuge chez des particuliers disséminés dans toute la Belgique, mais il va sans dire qu’il est loin d’être évident pour un particulier d’héberger un DPI pour une durée indéterminée. Les DPI ont également accès à l’hébergement de nuit du système régulier de l’aide aux sans-abris, mais ces centres sont surpeuplés. Quiconque s’est rendu récemment à Bruxelles a certainement remarqué le nombre croissant de personnes assises dans la rue. L’absence de domicile et la vie en rue ont des conséquences multiples. Ainsi, l’exclusion de l’accueil prive aussi ces personnes de l’accès à des douches ou à de la nourriture. Sans domicile, il n’est pas possible d’obtenir le document de séjour qui accompagne la procédure de protection internationale et, sans ce document de séjour, il est également difficile de faire valoir certains droits, comme par exemple celui au travail.
Sans adresse, difficile également de rester joignable et donc de recevoir les courriers de l’Office des Etrangers et du Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides. Pour couronner le tout, ajoutons que le fait de vivre en rue ou dans des conditions d’insécurité est source de stress, ce qui n’est pas propice à une narration cohérente de l’histoire de son parcours par le DPI lors de l’entretien avec le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides.

Et qu’en est-il de leur santé ?

Nous pouvons supposer que les DPI qui arrivent en Belgique et qui demandent la protection internationale ne sont pas arrivés sans encombre. La plupart des DPI qui ont introduit une demande en juillet 2023 étaient originaires de Syrie, d’Afghanistan, de Palestine, d’Érythrée,… et avaient fait un long voyage. Non seulement long, mais aussi fatigant, voire épuisant et sans doute aussi dangereux. Souvent, leurs ressources et leurs possibilités d’accéder à une nourriture saine et à des endroits sûrs pour dormir au cours de ces voyages sont limitées. On doit donc s’attendre à leur arrivée à ce que leur état général et leur système humanitaire soient affaiblis. Il faut également avoir en tête que la plupart de ces personnes proviennent de pays où l’accès aux soins de santé est limité ou défaillant et qu’ils peuvent être porteurs de maladies (graves) encore non prises en charge.

Comment accèdent-ils aux soins de santé en Belgique ?

À leur arrivée sur le territoire belge, les DPI doivent se présenter à l’Office des Etrangers où ils sont interrogés sur les raisons qui les ont poussés à quitter leur pays d’origine. Normalement, une place d’accueil leur est attribuée, mais depuis l’instruction de la Secrétaire d’État, les hommes seuls sont immédiatement informés qu’il n’y a pas de place d’accueil disponible pour eux.
Pas de place disponible ce jour-là, mais certainement pas non plus le jour ou la semaine suivante. Il leur faudra attendre des mois.
Ils sont également informés qu’en cas de problèmes médicaux, ils peuvent s’adresser au « Refugee Medical Point » (RMP) géré par la Croix-Rouge et situé juste à côté de l’entrée du bâtiment de l’Office des Etrangers. La Croix-Rouge est fort heureusement disposée à fournir une aide médicale d’urgence, mais demande également des mesures plus importantes qui offriraient une solution plus humaine, conformément à la loi.
Si le DPI ne se rend pas directement après l’introduction de sa demande au »Refugee Medical Point », il repart sans avoir été informé des démarches à effectuer s’il souhaite une aide médicale. Il n’est pas non plus informé du fonctionnement général du système de soins de santé en Belgique, ni des vaccins recommandés. Il serait pourtant utile de disposer de plus d’informations. Pour accéder aux soins, il existe une procédure spécifique pour obtenir un réquisitoire (= engagement de paiement) de Fedasil afin de pouvoir consulter le prestataire de soins de son choix. Cette procédure, prévue pour les personnes qui ne séjournent pas dans une structure d’accueil, se déroule comme suit :

  • le DPI, le prestataire de soins ou une tierce personne introduit une demande de réquisitoire pour des soins futurs via une plateforme numérique spécifique : https://www.fedasil.be/fr/rq-language-select.
  • Le demandeur remplit quelques données personnelles ainsi que le nom du prestataire de soins et la date du rendez-vous médical ou joint la prescription de médicaments.
  • Si tout se passe bien, la personne qui a introduit le formulaire de demande recevra par email une décision positive sous la forme d’une réquisitoire le jour même ou le jour suivant.
  • Ce réquisitoire doit ensuite être ajouté par le prestataire de soins à sa facture et envoyé à Fedasil pour paiement.

 

Quelles sont les améliorations possibles ?

De nombreuses améliorations pourraient être apportées au système d’accès aux soins proposé par Fedasil.
Si l’on prend le point de vue du prestataire de soins, il semblerait que les délais de paiement des prestations de santé soient beaucoup trop long.
On nous rapporte qu’il faut des mois, voire parfois des années pour voir sa facture prise en charge.
Du point de vue du patient DPI, d’autres améliorations pourraient aussi être apportées. Nous déplorons par exemple que ni la « Loi accueil », ni Fedasil ne prévoient de délai de réponse. Or il arrive que Fedasil tarde à répondre à certaines demandes. Dans ce cas, la personne ne sait pas si elle va pouvoir accéder à la consultation attendue ou au traitement prescrit. Elle ne sait ni quand arrivera la réponse de Fedasil, ni ce qu’elle peut faire si la réponse ne lui parvient pas.
Une réponse négative, parce qu’il peut bien entendu y en avoir, a le mérite d’apporter une réponse et avec elle une explication. Un refus présente aussi l’avantage de pouvoir être contesté devant le tribunal du travail si cela semble pertinent.
En outre, si le système de demande de réquisitoire en ligne, combiné aux services médicaux fournis par la Croix-Rouge, permet l’accès aux soins de santé des DPI qui ne sont pas accueillis dans une structure d’accueil, nous regrettons l’absence d’une communication efficace de Fedasil sur ce sujet. Un site internet à destination des DPI a bien été mis en place par Fedasil (www.fedasilinfo.be) mais celui-ci, bien que traduit en de nombreuses langues utiles et reprenant de nombreuses informations pertinentes, n’est visiblement pas suffisant. Nous sommes encore très régulièrement contactés par et pour des DPI à la rue qui ne disposent d’aucune information.

Il y a aussi un manque d’information à l’attention des prestataires de soins du circuit régulier, disposés à recevoir en consultations certains de ces patients, mais mal informés des procédures de paiement et des soins pouvant être délivrés. L’orientation des DPI vers un médecin généraliste est pourtant essentielle pour un diagnostic et une aide appropriée. Les prestataire de soins de santé devraient pouvoir facilement savoir quels sont les soins pris en charge par Fedasil, comment sont-ils remboursés, etc.
En conclusion, le système pourrait fonctionner mais il mériterait d’être mieux connu et doté d’un personnel suffisant pour accomplir ses missions dans des délais raisonnables. Le jeu en vaut la chandelle car il y va de la santé de milliers de personnes (sur)vivant dans des conditions très difficiles. Il est important que ces personnes puissent prendre soin d’elles-mêmes et que les prestataires de soins qui acceptent de les accompagner soient aussi soutenus.

Nous le demandons à Fedasil et au cabinet de la Secrétaire d’Etat, accordez aux hommes seuls DPI une attention particulière afin qu’ils puissent obtenir les soins nécessaires pour mener une vie digne.