Le 21 juin dernier, l’ASBL Aidants Proches remettait son mémorandum aux partis politiques francophones. Il est destiné à nourrir leurs programmes pour les élections de juin 2024, au bénéfice de celles et ceux qui aident régulièrement un proche – parent, ami, voisin, collègue… – en déficit d’autonomie physique ou psychique.
Ce document, rédigé au terme d’un an de réflexions nourries de focus groups ainsi que d’une enquête en ligne, donne largement la parole aux aidants-proches ainsi qu’aux professionnels concernés.
Ses constats sont sans appel, sur les liens entre précarité et aidance. Sans appel, et interpellants. Près de 80% des aidants-proches ayant participé aux travaux ont ainsi estimé que leur rôle pourrait les faire glisser vers une situation précaire, sur le plan financier ou relationnel. Et près de 57% ont affirmé avoir déjà eu du mal à joindre les deux bouts en raison de leur situation particulière qu’ils vivent davantage comme un devoir que comme un choix.
Pour s’occuper de leur proche, nombreux sont ceux qui ont réduit leur temps de travail, quand ils ne l’ont pas carrément mis entre parenthèses prolongées. Avec pour conséquence la baisse drastique de revenus à la clé que l’on peut imaginer. Près de 43% des répondants ont ainsi renoncé à un emploi, une formation ou une promotion, trop accaparés qu’ils sont par l’aide à fournir. Et, comme très souvent, on dénombre bien davantage de femmes que d’hommes parmi les personnes impactées.
Des effets en deux temps
Pour ne rien faciliter, plus de 85% des sondés ont vu leurs dépenses augmenter. Traitements, soins médicaux et paramédicaux, aides à domicile, aménagement de celui-ci, frais de transports… Tout cela impacte indéniablement leurs propres finances, pourtant déjà devenues précaires. Car ils ne reçoivent que peu ou pas de soutien financier ou d’aide matérielle, ce qui peut les amener dans un processus de précarité, quand ce n’est pas tout simplement à la pauvreté.
Cela a souvent des effets en deux temps. Dans l’immédiat, bien entendu. Mais également au moment de faire valoir leur droit à la pension, dont le montant est impacté au prorata du temps de travail sacrifié. Cela s’aggrave encore avec l’arrêt à 65 ans de la plupart des aides financières aux personnes aidées, obligeant l’aidant-proche à y aller encore davantage de sa poche pour compenser. Car les besoins, eux, ne diminuent pas avec l’âge. C’est même généralement l’inverse.
Calculer certaines aides de la personne aidée en se basant sur les revenus de son conjoint accentue encore ce phénomène. Sans surprise, six sondés sur dix vivent le statut de cohabitant comme un frein et une injustice, dans ce cadre. Et près d’un sur deux demande sa suppression.
Mais la précarité n’est pas que financière. Elle est aussi sociale. Neuf aidants-proches sur dix reconnaissent que leur vie relationnelle est impactée par leur rôle, avec un isolement accru par manque de temps, ou par culpabilisation de laisser leur proche seul.
Les professionnels sondés posent les mêmes constats, dans des proportions similaires. Avec un cercle vicieux qu’ils épinglent : la précarité préexistante à une situation d’aidance s’aggrave avec celle-ci. Les personnes en situation précaire ou issues d’un milieu socio-économique moins favorisé ont encore moins accès que les autres aux informations sur leurs droits ou sur les aides possibles, alors qu’elles dépendent déjà souvent d’allocations de remplacement ou exercent des métiers moins bien rémunérés, dont la plupart ne permettent que peu ou pas de formules souples de travail. Au final, 70% de ces professionnels disent constater que les aidants-proches qu’ils côtoient ont de gros problèmes financiers à la fin du mois. Avec, ici aussi, davantage de femmes que d’hommes impactés. Et lorsque la personne aidée travaille sous un statut d’indépendant, ces problèmes financiers s’accroissent encore.
Les dépenses consenties par les aidants-proches pour y remédier également.
Les jeunes aussi
Ce long travail de dialogue a également donné la parole à des jeunes aidants-proches.
Ces enfants, adolescents ou jeunes adultes
se trouvent trop souvent plongés bien avant l’âge dans des responsabilités d’adultes. Et dans une charge mentale qui les amène à négliger – quand ce n’est pas carrément à arrêter – leurs études. Avec toutes les conséquences que cela entraînera sur le reste de leur vie.
Dans la majorité des cas, ils expliquent ne pas avoir le choix : les ressources de la famille sont concentrées sur les dépenses liées aux soins de l’aidé. Très souvent, ils sont contraints d’eux-mêmes travailler pour aider les leurs à s’en sortir. Frapper aux portes des CPAS, gérer un parent à la personnalité instable, tenir un budget en équilibre, régler des dettes, prendre en charge leur fratrie… Tout cela fait partie de leur lot quotidien. Avec à la clé trop peu d’aides, mais aussi une incompréhension de leur milieu scolaire, peu ou pas conscientisé à la lourdeur de leur quotidien.
Solutions
Irrémédiable, tout cela ? Non. Car le mémorandum se veut constructif et consacre une large part de son contenu à 40 demandes de réformes synthétisées en 10 priorités, adressées aux gouvernements des différents niveaux de pouvoir concernés. Elles sont le plus souvent issues de propositions des aidants-proches eux-mêmes. Lutter contre cette précarité financière et sociale y occupe une place de choix. La première de ces priorités est d’ailleurs de permettre une meilleure articulation entre la vie d’aidant-proche et la vie professionnelle ou scolaire, avec une attention particulière au maintien d’un revenu suffisant et à l’impact que cela entraîne sur le montant de la pension. Accorder des compensations financières et/ou des avantages sociaux pour les aidants-proches afin d’éviter une précarité liée à l’aidance fait également partie de ces revendications.
Les jeunes, eux, demandent plus spécifiquement à bénéficier d’applications GSM donnant accès à de la nourriture à petits prix, aux coordonnées de centres de planning familial, à une liste de restaurants sociaux, à des formations en gestion de budget ou à se voir expliquer comment entrer en contact avec des services de médiation de dettes.
Ces revendications, l’ASBL Aidants Proches les a remises aux partis politiques francophones, l’été dernier. Elle vérifiera avant les élections si elles se retrouvent bien dans leurs programmes, et rendra ses constats publics. Elle demandera ensuite à être reçue par les formateurs des prochaines majorités afin de les conscientiser à l’urgence d’agir.
Une étude internationale montre que l’aide apportée par les aidants-proches représente en moyenne 2,5% du PIB de leur pays. Pour la Belgique, ce sont 12,5 milliards d’euros que la Sécu devrait débourser s’ils n’étaient pas là, eux et leur formidable générosité à l’égard de ces proches qu’ils aident. Et qu’ils aiment.