Interview : Le service Welcome du CHR Citadelle : exemple de bonne pratique !

Aysel Uzun, vous êtes responsable du service Welcome. Concrètement, quel est le quotidien de ce service ? Quelles sont ses missions?

La mission du service est « que l’expérience du patient à besoins spécifiques soit optimale lors de sa visite dans notre hôpital ».
Et l’optimum dépend et varie selon chaque patient, ses besoins et son envie d’autonomie.
Concrètement, les services de Welcome sont tellement personnalisés, sur mesure, qu’il est difficile de les résumer. Lorsqu’une personne à besoins spécifiques (PBS) doit être reçue dans notre hôpital, nous commençons par établir avec elle ou avec son entourage une fiche d’identification des besoins. Quel matériel, quelles adaptations, sont nécessaires pour recevoir cette personne dans les conditions adéquates ? Faut-il prévoir plusieurs consultations ? Dans ce cas, l’équipe Welcome va jusqu’à coordonner la prise de rendez-vous chez tous les professionnels, afin d’optimiser la prise en charge. La personne est-elle désorientée ? Présente-t-elle un risque de fugue, ou d’agressivité vis-à-vis du personnel ou d’elle-même ? Faut-il prévoir du matériel d’examen adapté ? Quel est le degré d’autonomie de la personne ? Quelles sont les actions que la personne souhaite effectuer elle-même, avec ou sans assistance ? L’idée n’est certainement pas d’infantiliser les PBS ; au contraire nous tenons à ce qu’elles soient au maximum actrices de leur propre santé.
En fonction des informations collectées, la prise en charge de la personne est conçue sur mesure par l’équipe Welcome. Ces informations sont transmises à l’ensemble de l’équipe soignante qui sera en contact avec la PBS pendant son séjour à l’hôpital. Un pictogramme Welcome sera présent dans le dossier informatique de la personne, afin d’indiquer son statut PBS.
L’équipe a également réalisé un audit d’accessibilité portant sur… les toilettes. Il est apparu, par exemple, que dans certaines toilettes dites « accessibles PMR », les barres d’appui n’étaient présentes que d’un côté. Que se passe-t-il pour les PBS qui n’ont pas l’usage de ce bras-là ?
Le travail du service Welcome est aussi holistique que possible ; chaque suivi, chaque PBS nous apprend quelque chose, et le service est en évolution constante.

Quelle est la genèse du projet Welcome ? Les patients, les usagers, ont-ils été impliqués ?

Le projet a démarré en 2018. Il est en fait la combinaison de deux appels à projets internes : l’un portant sur un accueil « VIP » pour les PBS et le second, sur la création d’un poste de référent « handicap » au sein de l’hôpital.
Nous disposions déjà de recommandations émises par Alteo, le mouvement social pour personnes malades, valides et handicapées créé par la Mutualité chrétienne. Ces recommandations étaient basées sur de nombreux témoignages de patients qui exprimaient les difficultés concrètes qu’ils rencontraient pour accéder aux soins. Nous participons également à un groupe de travail « Accès aux soins » qu’ils organisent mensuellement.
Le comité de patients de l’hôpital a été, et est toujours, impliqué dans la réflexion et l’évolution du service Welcome.
Nous comptons également sur le soutien de la direction de l’hôpital. Le comité d’accompagnement rassemble les directions médicale, infirmière, et des ressources humaines.
Il faut savoir que le service Welcome ne reçoit pas de subsides : il est entièrement financé sur fonds propres. Ce qui explique peut-être qu’il n’y ait pas de service équivalent dans un autre hôpital en Belgique… Nous recevons même des patients qui viennent de France !
Les patients sont impliqués dans le développement du service… parce que, comme nous l’avons dit plus haut, chaque nouvelle prise en charge est une occasion d’apprendre. On ne se rend pas compte de toutes les difficultés que peuvent rencontrer les PBS, et on ne peut certainement pas tout prévoir à l’avance.
Par exemple, nous avons constaté que 20 % des demandes traitées par le service concernent des patients atteints d’autisme, à des niveaux divers. L’hôpital est à présent équipé d’une salle d’attente adaptée, qui a été conçue avec l’aide d’associations et de professionnels. Il s’agit d’un véritable confort, qui limite le stress tant pour le patient que pour ses accompagnants. Un des défis auxquels sont confrontées les personnes atteintes d’autisme réside dans le fait qu’elles présentent souvent des comorbidités, et ont besoin d’un suivi multidisciplinaire ; nous organisons tous les rendez-vous chez les spécialistes dans la même journée. Le personnel soignant, le personnel d’accueil et tous les collaborateurs au contact des patients reçoivent également une formation spécifique.
Lorsqu’une PBS se présente en consultation après avoir été prise en charge par le service Welcome, tout son trajet dans l’hôpital a été pensé pour optimiser son expérience… anticipation et coordination sont nos maîtres mots ! Son check-in est déjà fait, les bracelets d’identification et les divers documents à remettre aux professionnels sont imprimés et rassemblés, les consultations ont été prévues avec le matériel et le temps nécessaires… Et ça, c’est un véritable luxe pour des personnes habituées à des expériences beaucoup plus stressantes.
Nous avons ainsi reçu une patiente dont la corpulence ne permettait pas une prise en charge « standard », et qui était en attente de soins depuis plus de deux ans, faute de matériel adapté ! Nous avons prévu tout le matériel pour assurer ses déplacements dans l’hôpital (elle était alitée), un lève-personne pour les examens qui nécessitaient qu’elle quitte son lit. Lorsque les bureaux ou boxes des professionnels n’étaient pas adaptés, ce sont les professionnels qui se sont déplacés dans sa chambre ; nous avions aussi prévu tous ses rendez-vous sur une seule journée, pour minimiser les frais liés à son déplacement en ambulance.

Comment vous faites-vous connaître ? D’un patient qui viendrait pour la première fois au CHR Citadelle, par exemple ?

Par le bouche à oreille ! Ce n’est bien sûr pas la seule communication qui est mise en place, mais c’est certainement la plus efficace. La nouvelle d’un service personnalisé, adapté aux situations complexes, est un tel soulagement pour les personnes concernées, que l’information circule très bien entre usagers (patients et proches), ainsi que vers les médecins généralistes, qui en parlent entre eux, et ainsi de suite.
Le service Welcome a par ailleurs organisé des séances d’information en interne, à destination du personnel soignant et surtout du personnel d’accueil. Ces collègues ont également été formés plus spécifiquement à l’accueil des PBS.
Nous participons également à des conférences, des colloques, et nous nous rendons dans les écoles pour informer les futurs professionnels de la santé.
Le service Welcome, entièrement financé sur fonds propres, est un exemple d’inclusion et d’accessibilité aux soins ! Des services équivalents devraient être mis en place dans tous les hôpitaux en Belgique et soutenus financièrement par les pouvoirs publics… il y va de la crédibilité des pouvoirs publics à respecter notre législation garantissant un accès aux soins de santé sans discrimination.

Facile à Lire et à Comprendre (FALC)

Une solution pour une information accessible à tous !

Claire Taymans
Chargée de promotion du FALC – Inclusion ASBL

Voter, signer un contrat, lire la presse, se soigner, aller au musée… Toutes ces actions du quotidien s’avèrent extrêmement complexes quand on a des difficultés pour comprendre l’information. En Belgique, on estime qu’un adulte sur 10 rencontre des difficultés pour lire et écrire.
Un constat alarmant qui exclut toute une partie de la population et l’empêche de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la société.
Forcément, plus l’information à traiter est formulée de manière complexe, plus les difficultés et l’exclusion seront importantes.
C’est ici qu’intervient le FALC avec un objectif simple : augmenter l’autonomie des personnes en situation de handicap.

Mais c’est quoi exactement ?
Le FALC, acronyme de FAcile à Lire et à Comprendre, est une approche qui vise à rendre les informations accessibles à un large public et particulièrement aux personnes en situation de handicap intellectuel, que ce soit à l’oral ou à l’écrit.
Élaboré en 2009 dans le cadre du projet européen Pathways mené par Inclusion Europe, le FALC constitue un ensemble de règles impliquant notamment l’utilisation de mots simples et de phrases courtes et permettant à tout un chacun de s’approprier la méthode.

Une méthode utile au-delà du handicap intellectuel
Le FALC a été créé pour les personnes en situation de handicap intellectuel mais est utile pour toutes celles pouvant avoir des difficultés de compréhension en raison de troubles cognitifs (mémoire, attention, etc.), d’une faible maitrise du français, d’une dyslexie, etc. Un large public est donc concerné !

Mais pour quel genre d’informations ?
Le FALC peut, entre autres, être utilisé par les administrations pour rendre les démarches administratives plus accessibles ; les démarches spécifiques aux personnes en situation de handicap intellectuel (reconnaissance de handicap, demandes d’allocation, d’aides matérielles…) mais aussi les démarches propres à tout citoyen (renouvellement de carte d’identité, changement de domicile…).
Mais bien d’autres secteurs sont concernés :
le secteur de la santé, les médias, le monde politique ou encore le secteur culturel. Vous l’aurez compris : le FALC peut être utilisé au quotidien !
Mieux informer les personnes, c’est les soutenir dans leur capacité à s’autodéterminer et à participer pleinement à la société.

Vous souhaitez en savoir plus ?
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Prenez déjà connaissance des règles du FALC (voir QR code ci-contre ou unapei.org).
Le service FALC.be est un service créé par Inclusion asbl, une association de familles concernées par le handicap intellectuel.
Avec le soutien de la COCOF et la Wallonie.

Handicap et volontariat

Philippe Bossaerts
Directeur PUSH ASBL

L’association PUSH réalise son action sans esprit de lucre dans le dessein de favoriser l’épanouissement des personnes en situation de handicap dans une perspective humaniste, sans prosélytisme confessionnel ou politique.
Les relations avec les personnes handicapées sont basées sur le respect et la dignité.
Deux citations illustrent bien nos valeurs :
« Si tu diffères de moi, loin de me léser tu m’enrichis. » (A. de Saint-Exupéry)
« La valeur d’un homme tient dans sa capacité à donner et non dans sa capacité à recevoir » (A. Einstein).
L’ASBL PUSH est agréée par la COCOF en tant que « service de soutien aux activités d’utilité sociale ». Actuellement, nous sommes le seul service de ce genre. Notre action se déroule uniquement en Région bruxelloise.
PUSH accompagne des personnes en situation de handicap (tous types de handicap, y compris les troubles psychologiques) qui souhaitent faire du volontariat.
La promotion du volontariat des personnes handicapées auprès du secteur non marchand bruxellois fait également partie des missions qui nous ont été confiées par la COCOF.
Nous sommes convaincus que le volontariat est un vecteur d’inclusion des personnes handicapées dans la société.
Un grand nombre d’entre elles ne trouvent pas leur place dans le monde du travail ni dans les structures d’accueil de jour où des activités sont proposées.
Elles s’ennuient, dépriment parfois. Certaines ont le sentiment d’être assistées.
Grâce au volontariat, elles peuvent s’investir dans la société en mettant en œuvre leurs compétences (souvent méconnues) pour rendre des services à la collectivité.
Ces activités leur permettent de créer un tissu relationnel et de favoriser, maintenir et développer un savoir-faire et un savoir-être.
La personne en situation de handicap peut être valorisée, acquérir une meilleure confiance en soi, partager et développer des valeurs humaines : altruisme, solidarité, entraide…
Grâce au bénévolat, elles peuvent devenir de véritables acteurs sociaux et contribuer à une société meilleure.
PUSH réalise avec les candidats un projet individualisé (compétences, possibilités de déplacement, besoins spécifiques, motivations, difficultés, aménagements raisonnables, etc.).
Nous les aidons ensuite à trouver un secteur, un type d’activité et un lieu qui leur conviennent en fonction de leurs aspirations et de leur projet individualisé : action humanitaire, culture, social, santé, environnement, etc.
Les activités proposées sont variées : ranger des livres en bibliothèque, jouer avec des enfants en crèche, préparer des colis alimentaires, servir des repas dans un restaurant social, vendre des vêtements de seconde main, etc.
PUSH accompagne la personne dans le démarrage de son activité de volontaire : aide à la rencontre avec les responsables de l’association accueillante, présentation de son projet, évaluation de l’adéquation entre le projet de la personne et l’activité proposée par l’association, adaptation de l’environnement, transport, mise en place d’aménagements raisonnables, etc. Éventuellement, PUSH peut proposer à la personne de suivre une formation afin d’améliorer ses compétences ou de lui procurer les outils nécessaires.
Le-la bénéficiaire est impliqué(-e) tout au long de l’accompagnement réalisé par le service PUSH.
Il s’agit de son projet, pas celui du service. PUSH est là pour l’aider à le mener à bien sans se substituer à lui (elle).
Au cours des premiers mois de l’activité, nous procédons régulièrement à une évaluation avec le(la) volontaire et l’association qui l’accueille. Éventuellement, des ajustements sont décidés.
Nous veillons au respect de la loi sur le volontariat et à la bientraitance de nos bénéficiaires.
Chaque année, nous réalisons une enquête de satisfaction anonyme auprès de ceux-ci.
Leur degré élevé de satisfaction, que ce soit par rapport à nos pratiques professionnelles, aux activités de volontariat ou au bien-être qu’elles leur procurent indiquent clairement que notre projet est en adéquation avec les attentes de notre public cible.
Le seul bémol est la liste d’attente. En effet, le nombre de demandes ne fait qu’augmenter alors que notre petite équipe (2,5 temps plein) ne peut pas s’étoffer par manque de budget disponibles à la COCOF. Dès lors, les personnes doivent parfois attendre cinq à six mois pour commencer leur projet de volontariat.
Pour davantage d’informations, vous pouvez consultez nos rapports d’activités annuels publiés sur notre site internet : pushasbl.be.

Contacts

Rue des Pères Blancs, 4
1040 Bruxelles
Tél : 02 737 67 45
Mail : push.bxl@gmail.com
Site web : www.pushasbl.be

Reprendre le travail avec des aménagements raisonnables

Thierry Monin
Chargé de projets à la LUSS

Lorsque l’on souffre d’une maladie chronique ou que l’on se trouve en situation de handicap, on peut malgré tout souhaiter reprendre une activité professionnelle durable.
Ceci nécessite toutefois d’examiner dans quelle mesure le travailleur peut reprendre l’emploi qu’il exerçait avant d’être en incapacité de travail. L’état de santé ne permet pas toujours de pouvoir reprendre le travail dans les mêmes conditions, avec le même rythme et la même intensité.
Le législateur fédéral a mis en place une réglementation prévoyant des dispositifs pour accompagner le travailleur (sous contrat ou non) dans un trajet vers un une réintégration ou un retour ou dans un emploi.

Trajet de réintégration
Le trajet de réintégration vise à promouvoir la réintégration du travailleur en incapacité de travail, en principe dans l’entreprise mais d’autres solutions peuvent être envisagées comme un emploi dans une autre entreprise moyennant une formation.

Trajet retour au travail
Le trajet retour au travail a pour but de soutenir le plus rapidement possible le titulaire reconnu incapable de travailler en mettant en place un accompagnement adapté en vue de l’exercice d’un emploi correspondant à ses possibilités et ses besoins sous la coordination du « Coordinateur Retour Au Travail ». Ceci peut intervenir après renvoi par le médecin-conseil de la mutualité sur la base d’une évaluation des capacités restantes du titulaire ou à la demande de ce dernier.
C’est donc un trajet axé sur un retour sur le marché du travail : via un travail adapté, un autre travail ou une formation.
Pour que ces trajets puissent mener à des résultats concrets, des mesures d’encadrement et de soutien sont nécessaires : jobcoachs, aides matérielles ou financières pour le travailleur et/ou l’employeur.

Des aménagements raisonnables
Ceci nécessite donc de mettre en place des aménagements raisonnables (source UNIA : tinyurl.com/unia-amenagements).
Il s’agit donc d’envisager avec les personnes concernées (le travailleur, l’employeur, le médecin du travail, l’AVIQ…) l’adaptation du poste de travail, l’organisation et les conditions de travail à la situation nouvelle du travailleur. Cela nécessite des réponses spécifiques à chaque situation.

Les obstacles/difficultés à la mise en œuvre d’aménagements raisonnables
L’objectif d’accompagner le travailleur vers l’emploi peut rencontrer une série d’obstacles comme :

  • les aménagements nécessaires pour réintégrer le travailleur sont manifestement déraisonnables : coût financier trop important compte tenu de la taille de l’entreprise, l’impact sur l’organisation du travail. À l’inverse, on pourrait considérer comme abusif le refus de l’employeur de procéder à un aménagement raisonnable qui pourrait profiter à d’autres travailleurs, ou pour lequel il n’y a pas de réelle alternative ou bien encore lorsque l’employeur n’a pas respecté les normes de prévention ou d’accessibilité.
  • La fonction ne s’y prête pas : la réintégration ou le retour au travail dans une fonction déterminée peut ne pas être possible. Dans le cadre du trajet, il faudra examiner si un emploi dans une autre fonction ou un autre environnement n’est pas envisageable.
  • D’autres arguments peuvent être invoqués par l’employeur pour refuser tout aménagement et donc toute réintégration : les craintes et réticences de collègues, la lourdeur administrative et la charge de travail y liée, la perte de productivité du travailleur.

Mais des solutions et des aides existent !

Les travailleurs en situation de handicap (y compris les patients atteints d’une pathologie chronique) et les employeurs peuvent bénéficier d’aides matérielles ou financières dans le cadre d’un trajet de réintégration ou de retour au travail. Une demande est à introduire auprès des services régionaux compétents : l’AVIQ (Agence pour une Vie de qualité en Wallonie) ou le Phare et/ou ACTIRIS en fonction du type d’aide demandée en Région bruxelloise.
Par exemple, en Wallonie, l’AVIQ propose comme mesures de soutien :

  • des stages de découverte en entreprise ;
  • un contrat d’adaptation professionnelle ;
  • des primes pour favoriser l’embauche : prime à l’intégration, prime au tutorat, prime aux indépendants ;
  • des primes pour maintenir à l’emploi : prime de compensation, aménagement du poste de travail.

Quelques recommandations/balises de la LUSS en matière d’aménagements raisonnables :
1. L’importance de la prévention : sécurité au travail, amélioration de l’environnement de travail…
2. Adapter les conditions de travail et la culture de l’emploi – favoriser un management adapté et inclusif – sensibiliser et accompagner les équipes pour permettre une réintégration durable du travailleur (risque de lassitude des collègues, éviter les discriminations…)
3. Une politique proactive en matière d’aménagement des postes de travail et d’adaptation des conditions et des horaires de travail, en renforçant les collaborations existantes avec les services régionaux compétents en matière d’aide à l’emploi.
4. Le trajet retour au travail est un outil pour permettre à la personne de reprendre une activité professionnelle adapté à sa situation particulière.

L’enfant porteur de surdité et la scolarité

Par Magaly Ghesquière
Coordinatrice pédagogique des classes bilingues du fondamental, École & Surdité, Sainte-Marie Namur

Un enfant sur mille nait sourd et un enfant prématuré sur cent est sourd.

(…) C’est certainement un handicap assez fréquent et plus fréquent que d’autres maladies qui sont dépistées depuis longtemps à la naissance.
(…) La grande majorité (…) [des enfants sourds] sont nés de parents entendants.
Plus de 80 % des enfants qui naissent sourds, naissent au sein d’une famille qui ne connait pas la surdité. (…) Dans les cas de surdité sévère, où l’appareil auditif ne donne pas de bons résultats, et dans les cas de surdité profonde, l’implant cochléaire permet d’avoir une information sonore certainement importante sur une large bande de fréquences. Il permet, si l’implant est placé précocement avec une rééducation précoce d’avoir accès au développement d’une langue orale.
[Mais] ce sont des stimulations électriques transmises au nerf auditif et donc, c’est une information qui n’est pas aussi complète et aussi travaillée que celle qui est transmise par une oreille qui fonctionne normalement. (…) Tout ceci ne peut fonctionner que si on s’entoure de toute une équipe, avec des logopèdes, des psychologues, des spécialistes de l’éducation des enfants sourds qui peuvent accompagner l’enfant et sa famille dès l’annonce du diagnostic. »
(Gilain, 2015)

Actuellement, certaines formes de surdité ne peuvent pas encore être soignées. Elles sont alors compensées, plus ou moins efficacement, par les aides auditives décrites précédemment. Parallèlement à la prise en charge médicale, la dimension scolaire de l’enfant atteint de surdité est également à considérer. Ce qui reste souvent compliqué pour une personne sourde ou malentendante, même équipée d’un implant cochléaire performant, ce sont les échanges en groupe. En effet, pour bien comprendre un interlocuteur, la personne sourde ou malentendante, appareillée ou implantée, doit souvent s’appuyer sur la lecture labiale pour combler les informations auditives manquantes. Or, dans une classe, où les interactions sont nombreuses et variées, le nombre et l’agencement des personnes rendent la lecture labiale difficile, voire impossible.
Pourtant, la surdité d’un enfant n’entrave en rien ses facultés à apprendre. Il est tout à fait capable de suivre l’enseignement ordinaire. Mais l’accessibilité à une scolarité dite « normale » n’est réalisable et souhaitable que moyennant certaines conditions.
Pour les parents, la scolarisation de leur enfant sourd ou malentendant en milieu scolaire ordinaire est le plus souvent synonyme d’un véritable parcours du combattant. Chaque année, il faut sensibiliser un nouvel enseignant.
Ce dernier fera ce qu’il pourra sans réellement avoir les moyens d’offrir à son élève ce dont il a besoin. Il faut trouver des aides disponibles qui ne seront jamais en classe en permanence. Le reste du temps, l’enfant sourd ou malentendant devra se débrouiller seul.
Pour l’enfant, être le seul élève en classe porteur d’une différence est toujours difficile à un moment ou à un autre. Il doit se construire en fonction de qui il est : un enfant qui entend partiellement, beaucoup ou pas du tout. Quoi qu’il arrive, cette surdité plus ou moins présente est bien réelle. Cet enfant doit grandir avec elle et l’intégrer pleinement à son identité. Ignorer cette réalité risque d’entraîner une certaine souffrance psychologique ainsi que des lacunes langagières et pédagogiques. Ces manques peuvent s’accumuler au fil du temps, augmentant les risques de difficultés scolaires, sociales et/ou identitaires.
Pour ces diverses raisons, un dispositif scolaire ordinaire, conçu de manière réfléchie et structurée, intégrant des pratiques pédagogiques qui prennent en compte la surdité, les langues et l’accessibilité en général, est probablement une option plus prudente.
C’est notamment pour ces motifs que depuis l’année 2000, des classes inclusives et bilingues à destination d’élèves malentendants et sourds (EMS) ont vu le jour dans une école ordinaire à Namur. Ce type de cursus scolaire demeure encore actuellement le seul du genre en Belgique.
La création de ces classes inclusives en Wallonie a été initiée par des parents entendants d’un enfant sourd qui, en réponse à ce qui leur semblait être une lacune du contexte scolaire de l’époque, ont souhaité permettre à des groupes d’EMS d’accéder à une formation d’un niveau comparable à celle dispensée aux entendants, et dans la même classe qu’eux, mais de manière bilingue – en français et en langue des signes francophone de Belgique (LSFB) – afin que tout leur soit rendu accessible.

(…)[À] l’origine, ce qui nous a motivés à construire ces classes bilingues, c’était, comme pour tous parents d’enfant sourd, la question difficile de l’arrivée à l’école.
D’abord, imaginer que notre enfant sourd soit seul dans une classe où tous les autres sont entendants, qu’il soit seul avec sa différence, c’était difficile. Et le deuxième point vraiment insupportable, c’était que toute la vie de la classe, du matin au soir, il n’en reçoive qu’une petite partie ou de manière lacunaire.
C’est la question qui nous a habités, très tôt, après l’annonce du diagnostic : comment faire pour qu’il aille à l’école, qu’il ait des potes sourds et des potes entendants, ne pas être le seul différent dans un groupe, en avoir d’autres différents et d’autres comme lui ? Et comment faire pour que tous les échanges de la classe lui soient accessibles du matin au soir, pas seulement une heure par-ci par-là ou carrément pas du tout !
Ce sont vraiment les deux points qui nous ont motivés à venir rencontrer Monsieur Jacquemart, le directeur de l’école fondamentale de Sainte-Marie, d’échanger sur ces questions avec lui et avec d’autres qui étaient passés par le même questionnement, d’autres qui s’étaient penchés sur la question de la langue dans la vie des enfants sourds. D’une part, l’accessibilité de la langue française, langue sonore, qui n’est pas naturelle chez eux et d’autre part l’accessibilité à une langue naturelle, la langue des signes.
Ce sont vraiment les deux points à l’origine et au fondement de ces classes !
(de Halleux, 2015)

La Communauté Scolaire Sainte-Marie de Namur propose à des groupes composés d’élèves entendants, malentendants et sourds, un enseignement ordinaire. De la maternelle à la secondaire, chaque enfant ou adolescent bénéficie d’apprentissages adaptés à ses besoins pédagogiques et linguistiques. Chaque classe est encadrée par des binômes d’enseignants dont l’un est bilingue, français-langue des signes et spécialisé en surdité. Chaque enfant est accueilli dans la modalité qui lui convient le mieux : français oral ou langue des signes. Petit à petit, tout élève inscrit dans le programme devient bilingue. Toutes les activités pédagogiques sont accessibles et réfléchies en fonction de la mixité des profils auditifs des élèves. En section secondaire, les adolescents bénéficient d’un enseignement général. La formation proposée prépare à tout type d’études, universitaires ou non.
L’école est un reflet de la société : les petits groupes d’élèves sourds ou malentendants forment une minorité au sein d’une majorité entendante. L’élève sourd ou malentendant est ainsi confronté, dès l’école, à ce qui sera sa réalité future : vivre dans une société où la majorité parle et entend. Cependant, pour affronter cette réalité avec sérénité, l’enfant doit d’abord se construire sur des bases solides. À Sainte-Marie, l’élève malentendant ou sourd n’est pas seul à être différent. Il ne doit pas s’efforcer de ressembler à tout prix à ceux qui entendent « normalement », ni chercher à minimiser ou cacher sa déficience auditive. Il ne doit pas non plus l’assumer seul. Il peut la vivre pleinement, tester ses limites et ses possibilités, et en discuter librement avec une équipe éducative spécialisée. Il peut découvrir qui il est vraiment. Il peut se construire tel qu’il est réellement avec sa différence. Il peut se reconnaitre au travers de ses camarades et se projeter à travers certains enseignants sourds ou malentendants. L’inclusion scolaire lui permet également d’être accueilli selon ses propres besoins. Il n’est pas le seul à devoir fournir tous les efforts pour suivre le programme scolaire ou les échanges verbaux de la classe car l’équipe éducative veille à lui fournir un encadrement, des langues et des méthodes qui tiennent compte de sa surdité.
Actuellement, les classes bilingues et inclusives accueillent chaque année environ cinquante élèves sourds et malentendants. Des décrets spécifiques permettent à la Fédération Wallonie-Bruxelles d’embaucher des enseignants spécialisés aux côtés de leurs collègues francophones. La Région wallonne finance également l’engagement d’interprètes en langue des signes afin de faciliter les échanges entre les utilisateurs du français et de la langue des signes. Cependant, malgré vingt-cinq ans d’expérience, la Communauté Scolaire Sainte-Marie n’est pas encore en mesure de gérer un tel programme d’inclusion de manière totalement autonome. L’asbl École & Surdité, initiatrice du dispositif, continue de fournir un soutien logistique, financier et pédagogique à ces classes.
De nombreux défis persistent : la pénurie d’enseignants est particulièrement prononcée parmi les enseignants bilingues. Leur formation en langue des signes et en pédagogie bilingue spécialisée n’est, à ce jour, pas reconnue financièrement. De plus, le nombre d’interprètes scolaires en LSFB reste limité. Par ailleurs, les recherches linguistiques sur la LSFB restent insuffisantes, malgré les initiatives des chercheurs, et notamment celles du LSFB-Lab de l’UNamur.
Malgré les obstacles quotidiens, les élèves montrent chaque jour à leurs enseignants que le jeu en vaut la chandelle. Lors de sa remise de diplôme, Sacha, jeune adolescent sourd prononçait ces mots :

Je voulais remercier tous les profs qui parlent, qui signent, qui travaillent en binôme. Vous faites un travail incroyable et grâce à vous, on a eu un enseignement qui était beaucoup plus confortable que ce qu’on aurait eu dans une autre école. (…) Grâce à vous, pendant les quinze premières années de ma vie, j’ai pu quotidiennement aller dans le monde des sourds et dans le monde des entendants. Grâce à vous, (…) je suis bilingue. C’est une richesse et je ne vous en remercierai jamais assez. (…) Aujourd’hui, je ne regrette pas d’être sourd et c’est grâce à vous.

Pour aller plus loin :

  • « Parcours de funambules » websérie, R. Volon, 2021
  • « École et surdité : Une expérience d’enseignement bilingue et inclusif », M. Ghesquière et L. Meurant, livre publié aux Presses universitaires de Namur, 2018
  • « Les funambules de Sainte-Marie », documentaire disponible sur YouTube, R. Volon, 2015
  • « Dans les coulisses d’un enseignement bilingue (langue des signes – français) à Namur », L. Meurant et M. Zegers de Beyl, livre publié aux Presses universitaires de Namur, 2009

Bibliographie :
Dammeyer J., Pychosocial development of and psychopathology in deaf students, in 2nd International Conference on teaching deaf learners, 2017.
Deggouj, N. Lettre d’information n° 17 – 22 novembre 2002. Récupéré sur www.saintluc.be : http ://www.saintluc.be/actualites/newsletters/017/index.php
Ghesquière, M., & Meurant, L. L’ENVERS DE LA BRODERIE. UNE PÉDAGOGIE BILINGUE LANGUE DES SIGNES DE BELGIQUE FRANCOPHONE – FRANÇAIS. Glottopol n°27.
Ghesquière M., & Meurant, L. École et surdité, une expérience d’enseignement bilingue et inclusif, Presses Un. 2018.
Gilain, C. (2015, mai 13). Des cours en français et en langue des signes à Namur. (M. Wachter, Intervieweur) Récupéré sur http ://podaudio.rtbf.be/pod/lp-tvs_transversales_162f052f2015_des_cours_en__21483343.mp3
Grosjean, F. (2000). Le droit de l’enfant sourd à grandir bilingue. Neuchâtel, Suisse.
Hennaux S., Discours de remise des diplômes, récupéré en 2024 sur YouTube, chaîne Ecole & Surdité.
Manteau-Sépulchre, E. (2010, Juin). Statut et fonction(s) de la langue orale dans le cadre de projets bilingues. Approche linguistique et clinique. 32. Récupéré sur Connaissances surdités : http ://acfos.org/wp-content/uploads/base_doc/lsf/CS32_statutlangueoraleprojetbiling.pdf
Mautret-Labbé, C., & John, C. (2011, 3). L’implant cochléaire, un entre-deux identitaire. Empan(83), pp. 113-120. doi :10.3917/empa.083.0113
Mettewie, L., & Peters, M. (2008). L’apprentissage précoce des langues. pourquoi ? Pour qui ? Comment ? Presses universitaires de Namur.
Plaisance, E. (1er trimestre 2007). Intégration ou inclusion ? Éléments pour contribuer au débat. La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, pp. 160-161.
Volon, R. (Réalisateur). (2015). Les funambules de Sainte-Marie [Film].

École et douleur chronique : une relation difficile

Quelle inclusion scolaire pour les élèves en situation de douleur chronique ?

Thierry Joiris
Neuropsychologue spécialisé en algologie
Coordinateur Centre Interdisciplinaire DOME

Dans nos écoles, l’inclusion des élèves reste un enjeu fondamental. S’il est plus aisé de penser l’inclusion dans certains cas comme les troubles spécifiques des apprentissages, l’exercice devient tout de suite plus difficile lorsqu’il faut envisager l’inclusion des élèves avec douleurs chroniques.
Pourtant, les douleurs chroniques chez les enfants/adolescents scolarisés sont fréquentes. Il peut s’agir de douleurs chroniques persistantes, répétées ou récidivantes (céphalées, migraines, syndrome douloureux régional complexe…), de douleurs chroniques dites fonctionnelles ou de douleurs chroniques s’inscrivant dans le cadre d’une pathologie chronique.
Un autre constat : les douleurs chroniques prédisent une moins bonne réussite scolaire.
Enfin, certains élèves ont une relation plus complexe à la douleur et à son expression.
Ils demanderont donc une approche plus spécifique. C’est le cas des enfants avec trouble du spectre autistique (TSA).
La douleur chronique est un handicap invisible. Il n’est donc pas simple pour des équipes pédagogiques au sein des écoles d’appréhender cet accompagnement de l’élève douloureux chronique. Elles ne sont ni sensibilisées ni formées.

Reconnaître la douleur chronique de l’enfant : un besoin urgent de sensibilisation
L’IASP (International Association for the Study of Pain) estime que l’enfant fait partie des patients dits « vulnérables » en matière d’évaluation et de traitement de la douleur. Sa douleur reste sous-évaluée et sous-traitée.
Sur le terrain, la banalisation alterne toujours entre deux positions antagonistes. Soit c’est tout psychologique (« c’est du stress »). Soit c’est tout somatique (« douleurs de croissance »). Dans les deux cas, elles conduiront à une impasse thérapeutique et à une non-écoute de l’enfant en souffrance.
L’enfant, quels que soient son âge, son handicap ou ses capacités de communication verbale perçoit bien la douleur. Il est important de le rappeler car à une époque on a pu en douter. Cette douleur doit être évaluée et traitée correctement.
Cette remarque concerne TOUS les enfants.
Les enfants en situation de handicap moteur ou avec des troubles de la communication verbale demandent d’autres stratégies d’évaluation de la douleur avec des outils adaptés.

Des conséquences multiples en cascade
Toute situation de douleur chronique va impacter de manière multiple la scolarité et l’enfant lui-même :

  • absentéisme scolaire ou décrochage scolaire ;
  • décompensation de l’état psychologique (trouble dépressif, anxiété) ;
  • décompensation physique (majoration de la douleur) ;
  • stigmatisation/harcèlement/rejet ;
  • difficultés d’apprentissage/échec scolaire avec à l’avant plan des troubles de la concentration.

Ces éléments vont aggraver l’expérience douloureuse. On entre ainsi dans un cercle vicieux.
Certains élèves seront malheureusement victimes d’une double peine. Il existe en effet une différence entre un enfant présentant des migraines ou un enfant expérimentant la douleur chronique dans le cadre d’une pathologie chronique avec tout ce que cela implique (complications autres que la douleur, prise en charge médicale/paramédicale lourde ou fréquente, inquiétudes sur l’évolution, stigmates/rejet en lien avec la pathologie chronique, visibilité des symptômes…).

Pourquoi la concentration de l’élève douloureux chronique est-elle difficile ?
Pour plusieurs raisons :

  • La douleur chronique elle-même. Cette douleur est « un stimulus perceptuel exigeant de l’attention21 » Lorsque l’élève a mal, la douleur mobilise une partie de ses ressources attentionnelles, de sa concentration. Il dispose donc de moins de ressources pour se concentrer sur les apprentissages et les tâches scolaires ;
  • Les traitements antalgiques médicamenteux et leurs possibles effets sur la vigilance ;
  • L’hypervigilance au corps et aux sensations corporelles nécessaires pour anticiper toute blessure éventuelle. L’élève est donc distrait ;
  • La kinésiophobie. Il s’agit de la peur du mouvement et de la réapparition de la douleur ou de la blessure ;
  • La fatigue ;
  • La comorbidité avec des troubles spécifiques des apprentissages (TDA/H, dyslexie….) ou un double diagnostic (NDLR : voir p 20).

L’élève avec douleur chronique est-il un élève à besoins spécifiques ?
La réponse est oui. L’élève avec pathologie chronique ou douleur chronique cumule des difficultés qui entraînent un handicap invisible. Cette situation fait de lui un élève à besoins spécifiques.
Il doit donc bénéficier d’aménagements raisonnables et peut exiger une pédagogie différenciée.

Quelle vision de l’inclusion scolaire de l’élève avec douleur chronique ?
L’inclusion scolaire doit s’inscrire dans une approche biopsychosociale, nécessitant à la fois la sensibilisation à la douleur chronique des acteurs de l’éducation, un travail en réseau et une collaboration active avec un réseau de soins.

Une démarche en trois étapes pour des aménagements raisonnables
Dans le cadre de notre pratique, nous avons opté pour cette démarche.
Première étape : identification des difficultés et des besoins spécifiques
Avant toute mise en place d’aménagements raisonnables pour pathologie chronique/douleur chronique au sein de l’école, il est nécessaire de commencer par l’évaluation des difficultés et des besoins spécifiques de l’élève. Cette appréciation se fait en collaboration avec l’élève lors d’entretiens individuels. Ceux-ci ont pour objectifs :

  • de l’informer de ses droits et du cadre légal en lien avec son statut d’élève à besoins spécifiques
  • de savoir si l’élève est demandeur d’aménagements raisonnables
  • d’obtenir son accord à la mise en place des aménagements raisonnables et aux contacts avec l’école qu’elle va impliquer
  • d’identifier les informations à communiquer à l’école. Que pouvons-nous dire ? À qui pouvons-nous le dire ?
  • de répertorier ce qui est déjà mis en place et d’évaluer si c’est pertinent par rapport à la pathologie ou à la douleur chronique
  • d’aborder et de permettre de verbaliser les éventuelles répercussions psychoaffectives
  • d’identifier et de désamorcer les situations d’urgence (rejet, harcèlement scolaire, moqueries/insultes, obligation à réaliser certaines activités physiques/sportives…)

Faire participer l’élève dès la première étape permet de renforcer son sentiment d’efficacité personnelle. Face à une pathologie chronique/douleur chronique qu’il va devoir apprendre à gérer c’est fondamental.

Deuxième étape : formalisation des aménagements raisonnables au moyen d’un outil spécifique
Des aménagements raisonnables sont ensuite proposés. Ceux-ci sont retranscrits dans un document particulier : la Fiche ARPEDI pathologie chronique © Centre DOME.
ARPEDI signifie Aménagements Raisonnables et Pédagogie Différenciée.
Cette fiche répond à un double objectif : sensibiliser à la pathologie/la douleur chronique et proposer des aménagements raisonnables faciles à mettre en place.

Elle permet une sensibilisation à la douleur chronique de façon transversale. La partie « difficultés en lien avec la pathologie » permet d’expliquer le vécu de la douleur chronique par l’élève au travers d’exemples précis décrivant l’impact de la douleur sur les tâches scolaires.
Particulièrement pour l’adolescent, il faut toujours vérifier le degré d’acceptabilité des aménagements raisonnables visibles au sein de la classe.
Chez l’adolescent on peut être confronté au paradoxe suivant : la volonté qu’un handicap invisible reste invisible.

Troisième étape : attestation EBS et coordination scolaire
La Fiche ARPEDI pathologie chronique © Centre DOME est complétée par une attestation validant le statut d’élève à besoins spécifiques. Il s’agit ici de rappeler que l’élève répond aux critères du décret.
Une coordination est ensuite directement assurée avec l’école. La Fiche ARPEDI pathologie chronique © Centre DOME restera le document de liaison. Cette coordination se fait tout au long de l’année en collaboration avec les enseignants, les intervenants du CPMS ou du service inclusion, les directions d’école.
Cette étape peut se voir complétée par des supports de sensibilisation qui vont venir compléter la Fiche ARPEDI pathologie chronique © Centre DOME. Par exemple, la bande dessinée proposée par le GESED ASBL pour nos enfants/adolescents avec syndrome d’Ehlers-Danlos (SED).
Elle peut également se voir complétée par un certificat médical ouvert. Celui-ci permet d’excuser les éventuelles absences consécutives à des moments où l’élève présente des épisodes de décompensation de sa douleur chronique.
Cela évite également l’épuisement de la famille en lui évitant à chaque absence de consulter le médecin traitant pour obtenir un certificat afin que l’élève n’ait pas une absence non justifiée. Une seule difficulté toutefois : l’acceptation de ce certificat médical ouvert est laissée à l’appréciation des directions d’écoles. Certaines le refusent.

Une nécessaire approche en réseau
La sensibilisation à la douleur chronique des élèves est affaire de tous. Elle doit donc se concevoir dans le cadre d’une approche en réseau. La collaboration doit se faire avec écoles/CPMS, services inclusion dans l’enseignement supérieur, pôles territoriaux, associations de patients et le réseau de soins médical et paramédical.
Des initiatives intéressantes existent qui peuvent participer de cette approche en réseau. C’est le cas de ClassContact qui connecte gratuitement l’enfant malade ou hospitalisé à sa classe.

Quels investissements pour demain ?
Pour poursuivre l’amélioration de l’inclusion scolaire des élèves avec douleur chronique, notre investissement se portera sur deux projets actuellement en réflexion. D’une part, l’organisation d’une journée de formation autour de la scolarité et des douleurs chroniques de l’enfant et de l’adolescent, formation à destination du monde enseignant. D’autre part, la réalisation d’un support de sensibilisation à la douleur chronique dans le cadre scolaire. En effet, à ce jour, un tel support n’existe pas.

Contacts

Centre Interdisciplinaire DOME
Rue du Château Massart 25
4000 Liège
04 234 79 21
info@consultationdome.be
www.centredome.be

Accessibilité, inclusion et démocratie

Sur base d’une interview avec Philippe Harmegnies
Directeur – Fondateur de Passe-Muraille

Quand on vous dit « accessibilité », à quoi pensez-vous ? Probablement à une rampe d’accès devant un bâtiment, empruntée par une personne en chaise roulante ? L’image d’Épinal, bien que (partiellement) exacte, est très réductrice, voire dommageable pour les personnes en situation de handicap. On vous explique pourquoi.
En Belgique, 1 400 000 habitants sont des « personnes en situation de handicap ». 80 %, soit l’immense majorité, des handicaps surviennent au cours de la vie, à la suite d’un accident ou d’une maladie invalidante, par exemple. Nous sommes tous susceptibles, un jour, d’être concernés par le handicap, que ce soit pour nous ou pour un proche.
Ce qui rend handicapé, c’est la situation environnementale dans laquelle une personne se trouve. Si la situation environnementale est adaptée, il n’y a plus de handicap puisque la personne peut faire « comme tout le monde ».
Si l’accessibilité est subie, on adapte, ou on s’adapte, aux besoins d’un utilisateur identifié comme « inadapté » à un fonctionnement « standard ». On modifie l’existant, on s’impose des contraintes pour simplifier la vie d’une minorité de personnes qui « souffrent » d’un handicap.
On « défigure » un bâtiment pour y installer une rampe d’accès, on délaisse un bâtiment historique plein de charme mais « impossible à mettre aux normes ». Bien que la majorité des handicaps soient invisibles, la perception négative de la personne handicapée, pour laquelle il « faut consentir » à des adaptations, ne repose finalement que sur une minorité de handicaps visibles.
Cette vision de l’accessibilité et de l’inclusion fait porter aux seuls usagers en situation de handicap le poids d’un projet qui a tout simplement été mal conçu dès le départ.

C’est quoi une « mobilité réduite » ?
Typiquement, on le disait, la représentation de la « mobilité réduite » porte sur des personnes en chaise roulante. Or ces usagers ne représentent qu’une minorité des personnes qui bénéficieront des installations d’accessibilité ! En effet, 60 % des « personnes à mobilité réduite » sont des seniors, 25 % sont des familles (avec poussette par exemple). Soit 85 % environ des usagers qui bénéficieront des installations « d’accessibilité » et qui ne sont pourtant pas concernés par le handicap moteur.
Les 15 % restants sont constitués à hauteur de 10 % par les personnes handicapées (tous handicaps confondus) et les 5 % restants sont des travailleurs : brancardiers, livreurs… Prenons l’exemple de la rénovation d’un centre culturel ; ce sont les plaintes des régisseurs son et lumière, qui peinaient à déplacer leur matériel lourd et encombrant, qui ont fait comprendre à l’architecte l’importance du travail sur l’accessibilité du lieu.

La personne handicapée, cette inconnue
Parmi les activités organisées par Passe-Muraille, plusieurs ont pour objectif de « démystifier » les personnes en situation de handicap. On l’a dit plus haut, les représentations ont la vie dure, que ce soit sur le handicap, la personne qui le porte ou même la manière dont les personnes valides peuvent l’assister. Il y a quelque chose d’ironique à se dire qu’à l’aube de la deuxième moitié du XXIe siècle, une société aussi « évoluée » que la nôtre en soit encore à « démystifier » le handicap et à philosopher sur l’opportunité de l’inclusion d’une catégorie de citoyens à leur propre société, mais passons.
Parmi les activités de Passe-Muraille, donc, il y a notamment des « ateliers miroir ». Des personnes valides sont soumises à une simulation de handicap, et doivent tester en conditions réelles l’accessibilité de leur service (utilisation des transports en commun, trajet vers et dans un hôpital…). Cette « démystification » a pour objectif de faire prendre conscience du « pourquoi » d’une démarche d’accessibilité, de ce qui vient avant et après, et des raisons pour lesquelles les consignes sont données dans un sens plutôt que dans l’autre.
La démystification facilite également le contact chez des personnes qui voudraient aider, mais n’osent pas par peur de commettre une maladresse. La relation s’engendre alors autour de la rencontre d’une « envie de bien faire » et les besoins réels de l’autre, les représentations s’évanouissent et la magie de la rencontre opère. Souvent durablement.

Penser « accessibilité » avant, pendant et après
Pour « bien faire », l’accessibilité doit être un prérequis dès les premières étapes de la réflexion autour d’un projet. C’est à cette seule condition qu’un projet sera vraiment accessible, et pas une variante, une « v2 » rendue accessible à force d’interventions et d’ajouts postérieurs plus ou moins réussis.
C’est particulièrement sensible en matière d’architecture, mais ça l’est tout autant en matière de développement informatique, pour ne citer que ces deux secteurs.
La volonté politique est ici prépondérante, notamment en matière de marchés publics. L’accessibilité doit y être directement reprise dans le cahier des charges ; elle doit devenir un prérequis pour tout développement demandé par les pouvoirs publics. Et ce n’est pas (que) Passe-Muraille qui le dit, c’est aussi la Commission européenne, puisque des directives sont déjà, et seront bientôt, en vigueur en matière d’accessibilité (NDLR : voir Le Chaînon 67, juin 2024).
Mais l’important, en matière d’accessibilité, ce n’est pas tant de cocher des cases « pour la beauté du geste », de respecter des critères binaires (atteint/pas atteint), que de comprendre le sens de ce qui est demandé. Si on ne comprend pas le sens de ce qu’on fait, généralement on fait n’importe quoi.
Et c’est d’ailleurs à cet égard que le savoir-faire doit être accompagné d’un faire savoir : si les équipes évoluent, les nouveaux arrivants doivent être informés des objectifs et des raisons pour lesquelles une démarche d’accessibilité a été amorcée, et des modalités de son application.
Par exemple, si plus personne ne sait que telle porte, dans le bâtiment, est une sortie de secours, elle peut être encombrée par du mobilier, ce qui la rend inefficace et inutile. Idem si les installations ne sont pas entretenues adéquatement, etc.
Une nécessité pour la démocratie
Bouclons la boucle avec le début de cet article, les représentations négatives, la « démystification » de situations de vie qui existent depuis que le monde est monde, et une perspective pas franchement réjouissante pour la démocratie et la place réservée aux personnes en situation de handicap, quel qu’il soit. La montée des extrêmes, partout en Europe, fait craindre le pire. Quelle place la solidarité et l’inclusion ont-elles encore dans des régimes d’extrême (gauche ou droite, d’ailleurs) ?
Parce qu’il faut à un moment conclure un article qui aurait pu tenir sur dix pages, sachez que chez Passe-Muraille, on ne communique (volontairement) pas le 3 décembre, qui est la journée internationale des personnes handicapées. On communique une semaine plus tard, le 10 décembre, qui est la journée internationale des droits humains. Parce que, faut-il le rappeler (manifestement oui), les personnes handicapées sont aussi des humains.

Les Conseils d’Usagers dans le secteur du handicap

Thierry Monin
Chargé de projets à la LUSS

Les institutions qui assurent l’accueil et/ou l’hébergement de personnes en situation de handicap, que ce soit en Wallonie ou à Bruxelles, ont en principe une obligation de créer en leur sein un Conseil des Usagers. Cette obligation fait partie des normes d’agrément.
Ce conseil, composé d’usagers ou de leurs représentants légaux, a pour mission de formuler toute suggestion relative à la qualité de vie et à l’organisation pratique de l’accueil ou de l’hébergement des usagers. Le service met en place des modalités de participation adaptées aux caractéristiques des usagers (législation wallonne).
L’objectif est d’impliquer les usagers et leurs familles dans la vie de l’institution et de favoriser une certaine forme de démocratie participative.
Généralement, c’est un membre du personnel qui assure l’animation et le secrétariat des réunions.
Il rédige également les procès-verbaux.
La réglementation donne un cadre assez large et dit assez peu de choses. Cela donne une certaine latitude aux institutions d’adapter l’organisation des réunions au profil des résidents.
En Wallonie, les résidents qui ne sont pas en mesure de s’exprimer par eux-mêmes peuvent être suppléés par leurs représentants légaux (en principe l’administrateur de la personne souvent un membre de la famille mais cela peut aussi être un avocat).
La participation n’a de sens que dans la mesure où elle permet aux résidents de s’exprimer en fonction de leurs capacités, de leur motivation. Les représentants légaux ne peuvent pas être ceux qui ont tout à dire. Être totalement respectueux de la volonté et de la parole des résidents n’est certainement pas chose aisée. La communication, qu’elle soit verbale ou non verbale, peut aider à mieux identifier les besoins/attentes des résidents, en fonction de leur profil, capacités.
Ceci demande aussi de la part de l’institution de la créativité, de la souplesse, une communication adaptée dans la méthode d’animation et de tenir compte des difficultés particulières des résidents.
Au niveau des pouvoirs subsidiants, il serait utile et pertinent de procéder à une évaluation du fonctionnement de ces conseils de résidents, du nombre d’institutions qui en ont mis en place, de leurs difficultés dans la mise en place et l’animation de ces conseils. Il s’agit ainsi de vérifier si ce dispositif s’ancre bien dans une dynamique participative et d’apporter des réponses aux difficultés identifiées (par l’élaboration d’outils spécifiques, par des moyens spécifiquement dédiés à ces conseils).
Il faut regretter le peu d’informations, hormis les dispositions légales ou administratives, concernant ce dispositif participatif tant au niveau wallon que bruxellois. Il ne suffit en effet pas que ce type de conseil soit prévu dans les normes pour que cela se traduise automatiquement sur le terrain. Il est donc important que les administrations compétentes viennent en soutien aux institutions et les accompagnent dans la mise en place de ces conseils.

Interview : Maison d’Accueil Familial le Boistissandeau, un projet unique en son genre

Lors de chaque édition du TEFF (The Extraordinary Film Festival), la LUSS parraine une séance suivie d’un débat. Ce festival unique en Belgique propose au grand public, aux professionnels et aux personnes concernées une réflexion sur l’image de la personne en situation de handicap, dans ses capacités, bien loin des clichés usuels.
En 2023, la séance ciné-débat avait été organisée autour du film Mon enfant après moi (voir Le Chaînon n°64, septembre 2023). Ce documentaire réalisé par Martin Blanchard aborde une question sensible autant que douloureuse : qu’adviendra-t-il, à mon décès, de mon enfant porteur de handicap ?
Le film a été entièrement tourné dans la Maison d’Accueil Familial le Boistissandeau. Ce château de la commune des Herbiers, en Vendée, est un lieu d’accueil unique en son genre, créé et géré par l’association Handi-Espoir. Le parent et son enfant (parfois d’âge adulte !) porteur de handicap y entrent et y séjournent ensemble jusqu’au décès de l’un ou l’autre. L’enfant s’intègre ainsi progressivement à la communauté, ce qui adoucit la transition vers une vie sans son parent. Ce qui ne se fait pas toujours sans heurt…
Voici l’interview du directeur de l’établissement, Nicolas Marichal.

Quelle est l’histoire du Boistissandeau ? Qui est à l’origine du projet ?

Vers le milieu des années 1990, la famille de Guillaume, jeune adulte en situation de handicap moteur, ne trouvait pas d’établissement adapté à proximité. Cette famille, avec d’autres, a fondé l’association Handi-Espoir, pour imaginer l’accueil des enfants porteurs de handicap devenus adultes. Avec le soutien du Département de Vendée, un premier établissement a été ouvert à Coëx. D’autres établissements ont suivi, les services ont évolué (d’accueil de jour à service d’accompagnement à domicile…) et chaque nouveau projet a participé à la construction de l’idée qui deviendra, en 2007, le Boistissandeau.
Le Département de Vendée possédait le Château du Boistissandeau, qui n’était à l’époque pas affecté mais qui devait l’être pour un projet cultuel ou social. Ce sera la Maison d’Accueil Familial.
Il y avait évidemment peu de littérature sur le sujet ! Tout était à inventer, à commencer par la structure administrative et financière du projet. L’accueil des aînés et celui des personnes en situation de handicap sont des structures et des budgets indépendants dans le Code de l’action sociale et des familles, et aucun projet ne mêlait les deux. Le casse-tête de l’équilibre budgétaire continue d’évoluer avec le temps, puisqu’au gré des entrées et des décès, la répartition et l’équilibre entre le nombre de personnes âgées et de personnes en situation de handicap fluctue.
Trente ans après sa création, l’association Handi-Espoir accompagne, d’une manière ou d’une autre, environ trois cents personnes, et occupe entre cent-cinquante et cent-quatre-vingt salariés, sur tous ses sites.

Comment se fait-il qu’aucun autre établissement comme le Boistissandeau n’existe ?

Le film Mon enfant après moi a mis le Boistissandeau dans la lumière ! Les sollicitations ne manquent pas, venant de familles ou d’associations qui souhaitent créer des projets de même inspiration ; nous avons même reçu une association autrichienne ! Rien au niveau de l’État ou des départements français, pour autant. La difficulté liée au montage financier n’aide probablement pas. Il faudrait une volonté politique pour intégrer cet « entre-deux » au Code de l’action sociale et des familles.
Du reste, dans l’esprit de Handi Espoir, l’idée n’est pas de multiplier ce type de structures résidentielles. Dans un monde idéal, les mentalités et les cultures évoluent, les personnes en situation de handicap sont plus largement intégrées à la société, sociabilisées dès l’école, et les options sont plus nombreuses. Autant que possible, nous aimerions privilégier l’accompagnement à domicile, promouvoir les droits et capacités à faire pour soi-même, l’autodétermination, le droit commun par l’habitat inclusif, et la promotion de la citoyenneté de la personne.
L’idée du Boistissandeau n’est pas de garder toutes les personnes en établissement le plus longtemps possible ! Certains enfants du Boistissandeau ont trente ans lorsque leur parent décède, et ils n’ont pas nécessairement envie de vivre entourés de personnes âgées.
De plus, le Boistissandeau est relativement isolé par rapport à « la ville », la culture, les transports… tout cela ne facilite pas leur inclusion à la société.
C’est d’ailleurs un travail très important qui est réalisé au Boistissandeau : préparer l’enfant à la séparation d’avec son parent… et préparer le parent à l’idée que son enfant puisse vivre, et même peut-être bien vivre, sans lui !

Justement, au point de vue humain, comment cela se passe-t-il ?

La Vendée est un territoire dans lequel les valeurs judéo-chrétiennes sont fortement ancrées. Un enfant porteur de handicap peut être vécu comme une croix à porter, une vie de sacrifice consenti pour la famille. Dans les familles qui vivent le handicap, le binôme parent-enfant présente parfois un lien exclusif, assez fermé. Le handicap a pu être source de rupture professionnelle, familiale, de couple, avec le voisinage… l’habitude du collectif s’est perdue.
Dans la cellule parent-enfant, le parent peut être omniprésent, omniscient, omnipotent et autocentré sur l’enfant. Comment l’enfant peut-il exprimer son individualité face à un parent qui a pris l’habitude de penser à sa place et d’avoir un avis sur tout ?
La première étape est donc d’ouvrir ce lien exclusif. Encourager les contacts avec les autres résidents, créer le collectif au départ d’une collection d’individualités et faire accepter l’idée que l’enfant soit pris en charge par « d’autres », en l’occurrence le personnel. Le transfert de responsabilité vers les professionnels n’est pas simple à négocier. C’est le savoir-faire d’une vie que le parent « transmet », « confie ». Cela peut occasionner un sentiment de jalousie chez le parent qui voit son enfant « exister sans lui », voire de trahison lorsqu’un des salariés décide de changer d’employeur. Nous avons d’ailleurs dû abandonner l’idée d’attribuer des « référents » aux résidents.
Mais à l’usage, les parents voient les enfants s’épanouir, se révéler, prendre leur place et se créer une identité propre. Dans la majorité des cas, c’est une révélation positive, les désirs s’expriment et la personne « naît ». Le choc est parfois abrupt pour les parents lorsqu’ils constatent que leur enfant « s’en sort » sans eux. C’est parfois une vie entière de sacrifices qui est remise en question.
À l’avenir, le rêve serait que le Boistissandeau n’ait plus de lieu d’être parce que la société permettrait l’inclusion de la personne en situation de handicap de manière beaucoup plus élargie. L’association se focaliserait sur l’accompagnement à domicile. Mais cela implique, outre une évolution des mentalités à l’échelle de la société, une réflexion beaucoup plus précoce sur le projet de vie de la personne. Encore trop souvent, la question de l’après-parent ne se pose que lorsque le parent âgé est déjà à la limite de la dépendance. Le projet de vie doit se construire le plus tôt possible.

L’après-parent : Madras ASBL

Un service d’accompagnement pas comme les autres

Laurie Celi
Assistante sociale – Madras ASBL

Ce service est né de l’imagination des familles de personnes en situation de handicap intellectuel dans les années 1970. Au contact les unes des autres, au sein de l’association de parents Inclusion, les familles ont échangé leurs inquiétudes quant à l’avenir de leur enfant. « Que deviendra-t-il quand je ne serai plus là ? ».
De manière informelle, ces familles se sont soutenues en promettant de garder un œil les unes sur les autres.
En parallèle, Inclusion développe son service social destiné aux familles confrontées au handicap mental. Cette équipe sociale, au contact du terrain, s’est rapidement aperçue qu’au-delà de dégager des pistes pour « maintenant », nombreux sont ceux qui s’interrogent pour « plus tard ».
Au sein du service social Inclusion nait, petit à petit, Madras, un service qui accompagne les familles dans la construction de « l’après-parent ».
En 1996, le service est reconnu « projet d’initiative spécifique » par l’AVIQ – Branche Handicap (AWIPH à l’époque). Puis comme service d’accompagnement en 2001.
Depuis lors, Madras accompagne des centaines de familles dans l’élaboration d’un projet de vie de qualité pour la personne en situation de handicap et dans la pérennisation de ce projet.

Comment ?
Le centre de référence est disponible aux personnes et à leur réseau (proches ou professionnels) pour toute question « après-parent » (via un entretien, un contact téléphonique ou par courriel).
L’équipe peut également organiser une intervention de sensibilisation collective à la demande d’un service.
Madras a créé un guide permettant aux familles de cheminer elles-mêmes sur les questions d’avenir : « Tissons un avenir de qualité ».
Un second guide à destination des professionnels a été créé ensuite pour répondre à la demande du terrain. Ce dernier propose des pistes pour aborder des sujets en lien avec « l’après-parent », parfois délicats, avec la personne, avec sa famille et aussi entre collègues.
Le service d’accompagnement à mission spécifique « après-parent » élabore un projet d’accompagnement individualisé avec pour objectifs :
d’aborder ensemble toutes les thématiques qui composent la vie : les activités, le travail, les loisirs, les déplacements, l’hygiène, l’alimentation, la santé, le lieu de vie, les moyens financiers, la protection juridique, le réseau, etc.
d’anticiper l’inéluctable : le vieillissement, la fin de vie, la mort, la succession, etc.
de mener une vigilance active quant à la qualité de vie de la personne. Madras s’intègre au réseau, le soutient et collabore avec celui-ci.

Qu’est-ce que l’après-parent ?
D’abord, nous entendons le mot « parent » au sens très large. Il ne s’agit pas seulement du père et de la mère. Il s’agit de tout l’entourage proche, des frères et sœurs, de cousin(e)s, de tantes ou d’oncles, d’amis, de voisins, etc.
Pour nous, les « parents » sont les proches qui s’inquiètent du sort qui est réservé à la personne et qui souhaitent faire quelque chose (même de petites choses) pour améliorer son quotidien.
Quant à la question de l’après… cela nous amène déjà à des réflexions existentielles…
Il s’agit pour la personne de s’interroger (si elle le peut) sur les personnes ressources vers lesquelles se tourner en cas de besoin si ses proches ne sont plus de ce monde (ou plus en capacité).
Il s’agit pour les proches de se demander ce qu’ils peuvent organiser maintenant pour que cela perdure et aussi de trouver un réseau à qui passer le relais quand ils ne pourront plus assurer leur fonction d’aidant proche.
Nous accompagnons les personnes et leur entourage dans un exercice de projection. Le but de l’action de Madras est d’anticiper un maximum d’éléments qui composent une vie, en se posant toujours la question « et après ? ».
Les activités de mon enfant lui conviennent à l’heure actuelle mais un jour il vieillira et il faudra peut-être diminuer ou arrêter ces activités ? Quelle prise en charge à ce moment-là ?
Son lieu de vie est adapté maintenant mais s’il ne l’était plus où irait-il ?
Il perçoit des revenus actuellement mais comment cela se passe à l’âge de la pension ?
Je suis désignée administrateur de mon enfant, et après moi, qui sera désigné ?
Dois-je rédiger un testament ? Et lui, a-t-il droit d’en rédiger un ?
Mon enfant n’est pas en mesure d’exercer ses droits du patient, dois-je prendre des décisions anticipées en termes de santé pour lui ?
Que faire pour que nos dernières volontés soient respectées ?
Sans avoir de réponse toute faite, Madras est un interlocuteur avec lequel soulever toutes ces questions et tenter, ensemble, d’y trouver une réponse adaptée à chaque situation.
Ensemble nous tentons de tisser un avenir de qualité…

Contacts

Madras à Bruxelles
Rue Erasme 2A – 1070 Anderlecht
02 647 57 41
Madras en Wallonie
Rue de Moha 17 – 5030 Gembloux
0478 67 13 97 – 0460 97 54 40 – 0472 75 26 50
Chaussée de Mons 19 – 7800 Ath
068 33 16 30
Rue Ernest Milcamps 26/1 – 7100 La Louvière
064 36 78 72
Rue du Biez 60 – 4031 Liège
04 344 28 42
Site Internet : www.madras-asbl.be

Vivre en autonomie :

un outil d’aide à la prise de décision

La LUSS est membre de la Commission subrégionale Handicap de Namur depuis 2018. Elle y a géré un groupe de travail (GT) « Projet de vie à domicile » ; des PSH et des professionnels s’y sont investis et ce croisement de savoirs et d’expériences a enrichi le travail du GT.
Partant du constat que de nombreuses PSH souhaitent pouvoir définir elles-mêmes, seules ou avec le soutien de proches ou de professionnels, leur projet de vie, incluant le choix de leur lieu de vie, le GT a décidé d’identifier les besoins non rencontrés des PSH, les ressources disponibles pour le maintien à domicile, en déterminer les limites et manquements, afin de proposer des pistes de solutions à l’AVIQ.

Des recommandations prioritaires
La Commission subrégionale a ensuite défini, en accord avec le GT, des recommandations prioritaires et actionnables à court/moyen terme ; elles sont au nombre de quatre :
1. Assurer dans chaque commune l’existence d’une personne (ou d’un service) de référence, qui puisse informer et aider efficacement toute personne porteuse d’un handicap.
La recommandation est que les Handicontacts remplissent ce rôle. Pour ce faire, ils doivent être formés adéquatement par l’AVIQ et être au courant des différents services présents sur la commune ; ils doivent aussi disposer de temps pour remplir cette mission.
2. Donner des formations systématiques et récurrentes sur le handicap, sans oublier les spécificités liées aux différents handicaps, aux travailleurs en contact avec des PSH (services d’aide et de soins, employés de la SNCB, du TEC…). Proposition que les formations soient données par un tandem « professionnel du handicap – PSH ».
3. Repenser l’aide matérielle au regard de l’autonomie qu’elle apporte, du projet de la PSH. L’arrêté sur les remboursements en aide matérielle, qui date de 2014, devrait être régulièrement revu et adapté.
4. Offrir des services d’aides et de soins à domicile flexibles, accessibles et adaptés aux besoins des PSH. Par exemple :
Flexibilité des horaires de prestation : élargir les heures d’aide (y inclus retarder la mise au lit), pouvoir être aidé en urgence, aides mises en place rapidement, garder un tarif accessible pour les heures inconfortables ;
Pallier le manque de prestataires de première ligne (aides familiales, garde-malades, infirmières à domicile…) : revalorisation financière du personnel, subsides adéquats alloués par l’AVIQ ;
Revoir la répartition des tâches entre les professionnels et permettre une délégation adéquate de certains actes techniques.
Le travail du GT a été consigné dans un rapport (tinyurl.com/AVIQ-rapport) et présenté au comité de branche handicap de l’AVIQ en 2023.

Outil d’aide à la décision
Le GT a également développé un outil d’aide à la décision pour les PSH qui souhaite vivre en autonomie et partent à la recherche d’un lieu de vie. En effet, lors de rencontres avec des PSH vivant en autonomie, plusieurs étaient déçues du logement choisi pour diverses raisons (logement éloigné du centre-ville et pas de transports adéquats, pas de commerces à proximité, éloignement des proches…).
L’outil identifie sept points importants pour leur vie quotidienne, des points à réfléchir avant de décider du lieu de vie :

  • ressources financières suffisantes ;
  • proximité des ressources personnelles ;
  • disponibilité des aides et soins à domicile ;
  • disponibilité des services extérieurs (services médicaux, pharmacies, commerces, banque, …) ;
  • logement ;
  • mobilité ;
  • loisirs.

Pour chacun de ces points, l’outil invite à réfléchir à ce qui est important pour la PSH. Chaque point peut être indispensable, utile, pas nécessaire, sans avis. En espérant que cela permette aux PSH de faire un choix plus éclairé de leur futur logement.
Cet outil sera très prochainement disponible en version papier mais également en version digitale accessible sur le site wikiwiph.AVIQ.be et le site www.AVIQ.be.

De l’importance d’avoir le choix !

Sur base d’une interview avec Freddy Hanot, Membre de l’APEPA, Association de Parents pour l’Épanouissement des Personnes Autistes.

À partir de l’expérience de son petit-fils autiste, Freddy témoigne de l’importance de conserver des institutions spécialisées pour accueillir les PSH, ainsi que du rôle essentiel de l’enseignement spécialisé en complément de l’inclusion dans l’enseignement général.
Bien que la Belgique soit considérée, par rapport à d’autres pays, comme un pays assez richement doté d’institutions et qui offre un grand choix de solutions (d’ailleurs, beaucoup de PSH viennent chez nous de France, par exemple), il n’y en a pas suffisamment, pas partout et les prises en charge ne sont pas toujours adéquates pour répondre aux différents besoins des PSH.
Je pense que les institutions peuvent offrir un environnement adapté et sécurisé, où les besoins spécifiques des personnes peuvent être pris en compte de manière professionnelle.
Elles permettent également d’assurer un accès à des services éducatifs et des activités adaptées, favorisant ainsi le développement personnel et social des personnes.
Mon petit-fils est resté chez ses parents aussi longtemps que c’était possible pour eux et pour lui. À un moment donné, ce grand jeune homme de dix-sept ans a été déscolarisé. Quatorze personnes se sont succédé à la maison pour lui proposer des activités et permettre à ses parents de conserver leur travail.
Après plusieurs mois, ses parents ont cherché et trouvé un centre de jour puis un hébergement adapté aux personnes avec autisme et créé initialement par des parents d’enfants autistes. Ce lieu lui offre une vie d’adulte à part entière : il a sa chambre individuelle, le matin il se lève, va déjeuner puis il va travailler comme jardinier, participe aussi à un groupe de marche trois fois par semaine, fait du vélo, va nager, fait de l’équitation, range les pictos du groupe, vide le lave-vaisselle… une vie « ordinaire » en quelque sorte.
Il a passé des tests pour voir quels étaient non pas ses défauts mais quelles étaient ses qualités, en quoi il était performant ; mon petit-fils est très doué par exemple pour trier des plantes, nettoyer les palettes, nourrir les animaux, manipuler la brouette… En résumé, pour mon petit-fils, la vie en institution n’est pas nécessairement mauvaise, que du contraire, elle est tout à fait adaptée à ce jeune adulte qui a de nombreuses compétences mais a besoin d’une surveillance constante. L’important était de trouver la bonne institution, avec un accompagnement de qualité, adapté aux besoins des résidents ! Pour d’autres jeunes avec autisme, la vie en institution n’est pas adaptée. Le plus important est que familles et personnes avec autisme puissent avoir du choix, la possibilité de vivre la vie qui leur correspondra le mieux.
Le maintien de l’enseignement spécialisé est également essentiel pour répondre aux besoins spécifiques des élèves. S’il est en effet bénéfique d’inclure les élèves en situation de handicap dans l’enseignement général, certains élèves nécessitent des approches pédagogiques plus spécialisées, un encadrement plus structuré et des ressources qui ne peuvent être toujours fournies dans un cadre inclusif. Dans les deux cas, il faut des enseignants motivés, compétents et formés pour aider ces enfants et ces adolescents à surmonter les défis qu’ils rencontrent.
L’accueil en milieu scolaire d’un enfant autiste nécessite des aménagements et un encadrement importants. Ils ont souvent des problèmes sensoriels, tant hyposensibilité qu’hypersensibilité. Par exemple, mon petit-fils souffre d’hypersensibilité au bruit mais d’hyposensibilité tactile et proprioceptive. Petit, il a soulevé la clôture électrifiée d’un champ pour rejoindre les vaches qui paissaient sans sembler ressentir la moindre sensation désagréable. Il n’en a pas été de même pour ceux qui ont voulu le suivre et ont reçu des décharges. Les personnes autistes supportent souvent difficilement les éclairages trop intenses ; ils ont aussi besoin de pouvoir se retirer dans des endroits calmes plutôt que de se défouler à la récréation.
Pour moi, c’est une de nos grandes richesses que de pouvoir offrir un choix au niveau de l’enseignement afin de permettre l’approche la plus adaptée pour chaque enfant, de favoriser l’épanouissement de chaque élève selon ses besoins.
L’enseignement spécialisé et l’inclusion ne s’opposent pas, mais se complètent pour offrir une éducation de qualité à tous.
En conclusion, je suis convaincu que les institutions spécialisées et l’enseignement spécialisé jouent un rôle indispensable dans une approche inclusive et respectueuse des différences, tout en offrant aux PSH le choix et les moyens d’atteindre leur plein potentiel.

TEACCH
Les classes TEACCH (Traitement et Éducation des Enfants Autistes ou présentant des Troubles de la Communication associés) s’appuient sur un programme éducatif développé aux États-Unis dans les années 1970.
Elles offrent un environnement structuré, visuellement clair et adapté aux besoins des enfants autistes. L’accent est mis sur l’autonomie, la communication, et le respect du rythme de chaque enfant, dans un cadre sécurisant et structuré. Grâce à l’implication des parents et aux supports visuels, l’approche TEACCH aide à renforcer les compétences des enfants tout en favorisant leur intégration sociale et leur bien-être au quotidien.
En savoir plus : tinyurl.com/autisme-teacch

Contacts APEPA asbl
Association de Parents pour l’Épanouissement des Personnes Autistes
Fond de Malonne, 127
5020 Malonne
Téléphone : 081 74 43 50
Mail : apepa@skynet.be
En savoir plus
L’association : bit.ly/apepa-asbl
Participate Autisme :
www.participate-autisme.be/fr

Penser ou panser la désinstitutionnalisation ?

Les ouvertures et les tensions d’un chantier à haut risque

Isabelle Hachez, professeur de droit, CIRC-IRIS-L, UCLouvain Saint-Louis Bruxelles
Nicolas Marquis, professeur de sociologie, CASPER-IRIS-L, UCLouvain Saint-Louis Bruxelles, ERC CoachingRituals (GA 850754).

Ce texte s’inspire d’un chapitre intitulé « Une inclusion qui fédère, une institution qui divise ? Pour une lecture ancrée, pragmatique et graduelle de la désinstitutionnalisation », écrit par Isabelle Hachez et Nicolas Marquis dans l’ouvrage Repenser l’institution et la désinstitutionnalisation à partir du handicap, publié aux Presses universitaires Saint-Louis Bruxelles en 2024 (https ://tinyurl.com/ouvrage). Cet ouvrage collectif librement accessible en ligne offre un état des lieux riche et plurivoque à propos des recherches, positionnements et pistes qui concernent les notions d’institution et de désinstitutionnalisation, en particulier lorsque celles-ci sont frottées à la problématique du handicap.

Institution et désinstitutionnalisation : de quoi s’agit-il ?
La désinstitutionnalisation est un enjeu de société majeur qu’il n’est pas facile d’aborder. En effet, il déclenche fréquemment les passions, pour plusieurs raisons bien compréhensibles – parmi lesquelles le fait qu’il touche à la vie et à la qualité de vie de nombreuses personnes qui peuvent se trouver en position de fragilité, par exemple du fait d’un handicap. Mais les débats passionnés sont également nourris par une certaine indétermination conceptuelle : de quoi parle-t-on, au fond, quand on parle de « désinstitutionnalisation » ? Ne nous faudrait-il pas, en amont, une définition claire de ce qu’est une « institution » ? Et est-ce seulement possible ?
Un élément supplémentaire tend à épaissir le brouillard : dans nos sociétés que l’on peut sociologiquement qualifier d’« individualistes » – parce qu’elles accordent collectivement de l’importance au développement de chaque individu –, on a facilement tendance à voir « l’institution » d’un mauvais œil. En effet, on s’y montre, sur papier du moins, très attentifs aux « droits » des individus, tandis qu’on associe rapidement dans nos représentations l’institution à la contrainte, à l’enfermement, à l’injustice, à la norme, à l’incapacité de respecter les différences – en bref à tout ce qui risque de limiter le déploiement de notre vie personnelle, de notre équation individuelle.
Dans une telle société toujours, l’idée selon laquelle « one size fits all » n’est donc plus vraiment en odeur de sainteté. Les hôpitaux, les prisons,
les centres de soins, mais aussi les écoles, la famille, etc. sont autant d’institutions qui sont aujourd’hui bouleversées par la méfiance qu’inspirent les dispositifs indifférenciés (comme les protocoles, les examens, les contenus d’apprentissages, les normes, etc.) dont on dit qu’ils risquent de méconnaître « qui nous sommes vraiment » chacun et chacune, en nous imposant par exemple des traitements ou des modèles qui ne nous correspondent pas. En bref, l’institution est pensée en opposition à l’autonomie individuelle, qu’elle menace. Elle est ce vieil outil encombrant et qu’on n’arrive pas malgré tous nos efforts à remiser une fois pour toutes au grenier. Dans ce contexte, désinstitutionnaliser signifie recouvrer notre liberté, notre puissance d’agir et d’être qui on est. Cela permet aussi de mettre enfin un terme à des formes bien réelles de souffrance, d’injustice ou de domination.
Mais au-delà de cette approche d’emblée plutôt critique, que l’on peut par exemple observer actuellement dans certains courants promouvant la parentalité positive ou des formes d’éducation alternative, est-on plus avancé sur la définition de la (dés)institution(nalisation) ? Pas vraiment. Certains courants sociologiques ou philosophiques font remarquer de façon intéressante que cette façon de penser l’institution comme ce qui contraint, ce qui abrase ou ce qui limite est trop restrictive. Ils voient plutôt l’institution comme toute manière de faire généralement acceptée dans une société, sur laquelle vous ou nous n’avons pas de prise particulière. Le langage que nous utilisons, nos codes de conduite dans la vie de tous les jours pour se saluer ou s’ignorer dans le métro, les règles de la méthode scientifique, nos façons d’être émus ou dégoutés, ou même la passion pour l’autonomie individuelle, etc. tous ces éléments suivent des règles, qui bien sûr nous contraignent (parce qu’on ne peut pas le faire n’importe comment), mais sont également ce qui nous permet d’agir, de vivre, d’exister, de nous faire comprendre. Dans cette lecture de sciences sociales, l’institution est à la fois ce à quoi on tient et ce qui nous tient en vie et ensemble. Si on accepte que l’institution est autre chose que des murs et des bâtiments, prétendre désinstitutionnaliser pour rendre quelqu’un plus autonome n’aurait pas plus de sens que de dire à cette personne qu’elle s’exprimera mieux et sera mieux comprise par les autres si elle abandonne toutes les règles du langage commun qui nous contraignent : ce n’est tout simplement pas possible.

De l’« handicapé » à la « personne en situation de handicap »
Si on quitte ces considérations générales pour se concentrer sur ce qui se passe dans les mondes des handicaps ou encore de la santé mentale, on y observera que les débats sur l’institution et la désinstitutionnalisation sont particulièrement vifs.
Là, comme dans d’autres domaines qui traitent de personnes fragiles, l’institution renvoie d’abord à une réalité très concrète qui prend et a pris de nombreuses formes au cours des derniers siècles : des lieux de vie ou de soins plus ou moins agréables, des rapports de qualité variable entre des professionnels et des patients ou des résidents, une coupure de la société plus ou moins importante. Ici aussi, il est chimérique de prétendre qu’il existerait un consensus sur la définition de l’institution et sur le crédit qu’on lui porte : en effet, il y a bien des différences entre ce que le courant thérapeutique de la psychothérapie institutionnelle entend par l’« institution » qui prend soin, et l’image que des travaux critiques comme ceux de Michel Foucault ou d’Erving Goffman ont donné d’une certaine réalité institutionnelle.
Cependant, au-delà de ces différences importantes, on peut constater que la perspective qui tend à s’imposer aujourd’hui dans les mondes du handicap et de la santé mentale, tant du côté des acteurs concernés que des travaux de sciences sociales, tant du côté de nombreux textes juridiques que de la société civile est la suivante : l’institution, et surtout l’institutionnalisation ou le fait de vivre en institution ne constituent pas ou plus des moyens efficaces et respectueux de traitement des différences individuelles dans notre société. Pour le dire autrement : si l’appel à la désinstitutionnalisation se généralise, c’est parce que l’institution a tendance à être aujourd’hui considérée non pas tant comme une solution au problème, mais comme une partie de ce problème.
Comment en est-on arrivé là ? Il est impossible de retracer tous les tenants et aboutissants de cette longue évolution qui fait aujourd’hui de la désinstitutionnalisation un horizon éthique largement partagé15. On peut cependant s’arrêter sur un élément majeur : la consécration progressive d’une nouvelle façon de voir les personnes en situation de handicap. Pour penser que l’institution n’est pas la bonne solution pour traiter des différences individuelles, il a en effet fallu que s’opère un changement de regard sur les personnes porteuses d’un handicap.
De « l’handicapée » porteuse de déficiences ou d’anormalités à « la personne en situation de handicap », c’est le fameux passage d’un modèle médical à un modèle social du handicap qui se joue.
Le handicap n’est plus perçu comme une caractéristique personnelle, mais bien comme un construit social et situationnel généré par l’incapacité d’un environnement social à prendre en compte les différences (et non plus les déficiences) d’une personne. La responsabilité n’est plus du côté de la personne handicapée qui devrait « s’intégrer » à une société des normaux en leur ressemblant au maximum, elle se situe désormais du côté de la société dont c’est le devoir de veiller à ce que chacun puisse participer de façon « inclusive » sur base de l’égalité de tous.

La Convention relative aux droits des personnes handicapées, un tournant majeur
Cette reconfiguration est déjà bien avancée dans certains domaines. Elle a encore du chemin à parcourir dans bien d’autres. Mais elle dispose depuis une vingtaine d’années d’un soutien de poids : la Convention onusienne relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), entrée en vigueur le 3 mai 2008 et ratifiée à ce jour par 191 parties, dont l’Union européenne et la Belgique. Née du constat de l’insuffisance de la protection universelle des droits humains au détriment des personnes en situation de handicap, la CDPH est devenue un référent incontournable pour qui s’intéresse aux questions de handicap car il s’agit d’un traité juridiquement contraignant, confié à la garde d’un organe de contrôle : le Comité des droits des personnes handicapées (qui s’exprime quant à lui par le biais d’instruments dépourvus de force juridique obligatoire).
Dans un modèle fondé sur les droits humains, la CDPH instaure un catalogue de droits tout entier dédié aux personnes en situation de handicap, en se focalisant dès l’article 1.2 sur les « diverses barrières (qui peuvent) faire obstacle à (la) pleine et effective participation (des personnes handicapées) à la société sur la base de l’égalité avec les autres ». L’obstacle n’est plus le handicap, mais bien les barrières mises en place par la société, volontairement ou non, qui produisent une inacceptable discrimination envers des personnes porteuses de certaines différences.
Au niveau de l’organisation sociale, le but vers lequel la CPDH nous invite à tendre est celui d’une « égalité inclusive », comme l’explique l’Observation générale n°6 du Comité (2018).
C’est précisément en vertu de cet horizon que le célèbre article 19 de la Convention, reconnaît « à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes », en particulier « la possibilité de choisir (…) leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre », en ayant « accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement ». Ce droit est lui-même étroitement connecté aux autres prérogatives consacrées par la Convention (entre autres les articles 12 et 14) et traversé de part en part par les principes d’égalité, d’autonomie, d’inclusion et de participation.

De la liberté de choix à la désinstitutionnalisation
Le Comité des droits des personnes handicapées a livré son interprétation de l’article 19 de la CDPH dans son Observation générale n° 5, en 2017, puis dans ses Lignes directrices sur la désinstitutionnalisation, en 2022. C’est à lui, et non à la CDPH, que l’on doit le terme désinstitutionnalisation. Le Comité a réintroduit ce terme dans le giron de l’article 19, au départ des caractéristiques prêtées à l’institution(nalisation), comme, par exemple, le fait pour des résidents de partager les services de plusieurs assistants, d’imposer aux personnes handicapées une routine stricte ne tenant pas compte de leur volonté ni de leurs préférences, de rassembler un nombre disproportionné de personnes handicapées dans un même environnement… Le Comité voit dans ces caractéristiques les vecteurs par lesquels se matérialise la ségrégation ou l’exclusion des personnes handicapées – et donc le contraire d’un traitement basé sur l’égalité tel que visé par la Convention. Mais ce que visent prioritairement les appels à la désinstitutionnalisation sont évidemment les conséquences inacceptables de formes d’institutionnalisation que le Comité a pu documenter au cours de ses travaux : la brutalité des logiques d’organisation collective au mépris des besoins individuels, le paternalisme de certains personnels, le fait pour les personnes en institutions de ne potentiellement voir personne d’autre que leurs co-résidents non choisis, l’obligation de s’acquitter de leurs besoins élémentaires à heures fixes ou de les voir ignorés, l’éventualité pour elles de se retrouver attachées à leur siège ou à leur lit des heures durant, les temps de visite réglementés par dessus elles, etc.
Dans l’esprit du Comité, les caractéristiques et phénomènes précités sont d’abord le fait de formes de vie en établissement résidentiel spécialisé, mais elles peuvent également se rencontrer à domicile. En ce sens, désinstitutionnaliser signifie non seulement fermer les lieux de prise en charge collectifs16, mais aussi s’opposer aux modes de soutien non respectueux des choix individuels.
De la même manière que les États sont appelés à lever les barrières plaçant les personnes en situation de handicap, ils doivent, in casu, faire sauter les murs et autres pratiques institutionnalisantes en vue d’assurer l’inclusion dans la société.

Pourquoi n’a-t-on pas déjà complètement désinstitutionnalisé ?
Ces appels répétés à la fin des pratiques institutionnalisantes trouvent aujourd’hui un certain écho, car ils rencontrent la méfiance à l’égard des institutions caractéristiques des sociétés individualistes, mais surtout de nouveaux modèles de soins et d’intervention sur autrui, parmi lesquels : le soin en ambulatoire plutôt qu’en structure ; la pair-aidance plutôt que la professionnalisation ; l’accueil à bas seuil dans la cité plutôt que des procédures complexes ; la déspécification du handicap et de la santé mentale plutôt que l’étiquetage en catégories fixes ; la référence grandissante au projet de vie de la personne plutôt que l’abandon à une routine d’établissement ; la montée en puissance de la référence au « rétablissement » comme modèle de soin plutôt que celle à une improbable guérison ; l’idée que derrière chaque handicap apparent pourrait bien se loger non pas une déficience, mais bien un atout, pour autant que l’environnement permette d’en développer le potentiel ; etc. À la croisée de logiques économiques et éthiques, ces nouveaux modèles qui ont explosé ces derniers temps sans pour autant faire une unanimité parfaite, partent dans différentes directions, mais ont bien comme point commun de rejeter un « anti-modèle » : celui d’une institution asilaire et médicalisée, inattentive aux bénéficiaires auxquels elle n’offre pas de réelle piste d’avenir, coupée de la cité, et participant ainsi à entretenir la ségrégation physique et morale des personnes.
Pour autant, l’appel à la désinstitutionnalisation a souvent encore du mal à trouver sa traduction pratique complète. Les freins se trouvent dans une série de raisons dont on ne peut ici donner qu’un aperçu certainement pas exhaustif : héritage d’un système de prise en charge basé sur le résidentiel institutionnel, limites des moyens financiers dévolus à l’accompagnement des projets et parcours de vie individuels, désaccord quant à l’évaluation et l’organisation des formes de compensation (financières, matérielles, etc.) du handicap, ou encore absence d’alternative concrète à l’institutionnalisation qui ne ferait pas peser un poids excessif sur des aidants-proches (membres de la famille, connaissances, etc.) déjà souvent très sollicités sans être pour autant reconnus.

La ou les personne(s) handicapée(s) ?
Toutes ces difficultés sont aujourd’hui bien connues et discutées. Penchons-nous cependant sur une difficulté qui pour être moins souvent évoquée, n’en est pas moins fondamentale. Nous avons vu que s’il était parfois ardu de débattre de l’institution et de la désinstitutionnalisation, c’est en partie à cause tant de l’indétermination conceptuelle qui règne, que de la confusion entre les niveaux analytique et normatif.
Or, quand la désinstitutionnalisation prend la forme d’un slogan (« il faut désinstitutionnaliser partout et le plus rapidement possible pour toutes les personnes en situation de handicap ou souffrant de troubles mentaux ! ») sans forcément prêter attention à l’infinie diversité des situations, une importante tension voit le jour. D’un côté, il y a l’appel bien légitime à considérer que chaque être humain, en situation de handicap, est unique, et que par conséquent, une solution acceptable et efficace pour l’un ne le sera pas forcément pour l’autre – c’est l’un des arguments clés de la critique individualiste de l’institution.
Cependant, d’un autre côté, on se réfère souvent, notamment dans les textes de hard law (comme la CDPH) ou de soft law (comme les Observations du Comité des droits des personnes handicapées), aux personnes en situation de handicap comme si elles étaient un tout catégoriel abstrait et indifférencié. Plus encore, elles sont souvent indistinctement affublées de caractéristiques communes, qui vont ensuite fonder la position éthique d’un appel parfois radical à la désinstitutionnalisation. Parmi ces caractéristiques : le fait d’être en mesure de mener une vie plus autonome qu’actuellement, et surtout le fait de désirer mener sa vie avec une autonomie maximale. Dans cette représentation, personne ne pourrait donc s’épanouir dans un système institutionnalisé, puisque chacun souhaite avoir un chez-soi et refuse de se voir imposer une routine non choisie ou de partager les services, chaque personne souhaite participer à la vie en société et refuse d’être mise à l’écart sur base de son handicap ou en vue du traitement de celui-ci. Du point de vue du Comité, par exemple, la vie en institution ne pourrait donc jamais être un véritable « choix »17.
Il est bien évident que dans d’innombrables cas, cette image de la personne en situation de handicap correspond à la réalité. Mais qu’en est-il alors des situations, elles aussi bien réelles, ou des personnes ne peuvent pas, ne veulent pas forcément d’une autonomie plus importante, des personnes pour lesquelles quitter un environnement qualifié par ailleurs d’institutionnel ne serait pas, de leur propre point de vue, porteur ? Cette tension interne à la revendication vers plus de désinstitutionnalisation pose donc des questions éthiques et pratiques majeures : qui porte la voix de ces personnes qui ne feraient pas un choix en phase avec les idéaux des sociétés individualistes, aujourd’hui soutenus par une logique juridique ? Que peut-on leur offrir comme alternative ? Et finalement, si la désinstitutionnalisation devient elle-même une institution (au sens d’une norme ou d’une règle sur laquelle on a peu de prise), ne risque-t-on pas de basculer, comme on dit, de Charybde en Scylla, et de troquer un piège pour un autre ?

Pour une approche ancrée, graduelle, pragmatique de la désinstitutionnalisation
Les travaux récemment menés dans le cadre de l’ouvrage cité en titre montrent que, parmi les parties prenantes au débat sur la désinstitutionnalisation, en particulier dans le champ du handicap, personne ou presque ne songerait à défendre l’institution totale au sens goffmanien du terme – et c’est heureux. Tout le monde s’accorde sur l’enjeu consistant à se départir d’une « culture institutionnelle qui rassemble et isole des personnes sur la base du handicap, qui les prive de liberté et du choix de leur mode de vie par une routine hospitalière dépersonnalisante et qui ne reconnait pas (ou peu) leur capacité (juridique) à prendre des décisions et à gérer leur vie de manière autonome » (pour employer les termes de Gisèle Marlière, dans le cadre de la contribution du Conseil national supérieur pour les personnes handicapées18).
Là où, pour l’essentiel, la dissension se loge, ce n’est pas sur l’enjeu mis en lumière par le Comité (la nécessité de se départir à la fois d’une logique ségrégative et d’une culture dépersonnalisante) mais sur la manière de lui donner corps. Autrement dit, c’est sur l’opportunité de s’engager dans une voie aussi radicale que celle pointée par le Comité19, niant la possibilité même de lieux de vie collectifs et limitant, ce faisant, le libre choix à une vie à domicile encadrée, que le consensus se dissout. Là où l’indétermination demeure, en arrière-fond du débat relatif à la portée de la désinstitutionnalisation, c’est sur le sens et, plus encore, les conséquences attachées à des concepts tels que le handicap, l’égalité, l’autonomie et l’inclusion. La catégorie générale et abstraite des personnes handicapées doit-elle, ou non, prévaloir, à la base, sur la singularité de certaines formes de situation de handicap et d’incapacités ? L’égalité doit-elle avant tout se traduire par un traitement égalitaire entre personnes handicapées et personnes valides, d’une part, et entre personnes en situation de handicap, d’autre part ? L’autonomie gagne-t-elle à se comprendre d’abord dans une perspective individuelle, ou également relationnelle ? L’inclusion se joue-t-elle principalement de manière unilatérale, de la société vers la personne handicapée jouissant d’un droit subjectif à participer à la vie de la cité ou, d’emblée, de manière dialectique, par ajustements mutuels de la personne handicapée et de ses co-citoyens ? Inclure dans la société, est-ce par essence être au cœur de celle-ci, au sens géographique du terme, ou, plus fondamentalement reconsidérer la commune humanité et responsabilité des uns à l’égard des autres ?
Il y a, selon nous, matière à développer une approche de la désinstitutionnalisation qui soit ancrée dans le vécu des parties prenantes au premier chef desquels les personnes en situation de handicap. Cette approche gagnerait également à être pragmatique, au sens où elle connecterait la pluralité des réalités concrètes aux idéaux moraux sans rester cantonnée à ces derniers. Elle gagnera ensuite à profiter des différentes expertises (expérientielles, militantes, professionnelles, et scientifiques notamment) pour développer une analyse des processus de désinstitutionnalisation au cas par cas, sur base de marqueurs, de degrés et d’échelles de ce qu’un environnement permet et empêche de faire. En appliquant attentivement aux différentes dimensions d’une institution qui ne sera plus considérée comme un tout indifférencié, à accepter ou à rejeter en bloc, l’approche suggérée permettra enfin une compréhension graduelle du fait institutionnel. Cette piste nous paraît bien plus prometteuse que d’attendre un hypothétique accord de toutes et tous sur ce que signifie « l’institution », et de poursuivre avec toute l’énergie nécessaire l’horizon normatif essentiel : la lutte contre toute forme inacceptable de ségrégation et d’intervention sur autrui.

Du répit pour les aidants proches

La Casa Clara

Fanny Calcus
Coordinatrice et accompagnante – Casa Clara

La Casa Clara est une maison de répit et de ressourcement pour les aidants proches – parents et fratries – d’enfants de tout âge, en situation de handicap ou de pathologie lourde. Le projet est inspiré d’un vécu personnel, celui de Fanny Calcus. Aidante proche de sa fille Clara, décédée un peu avant ses trois ans des suites d’une maladie rare invalidante, elle fait le constat d’un manque, celui d’un lieu où les parents et les fratries pourraient se retrouver pour échanger et se ressourcer.

« Avec Clara c’était du soin et de l’accompagnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre et il devenait primordial de souffler un peu. J’ai donc cherché un endroit en dehors de l’hôpital où je puisse rencontrer d’autres parents, me sentir moins seule dans ce parcours du combattant et aussi un endroit où je pourrais me ressourcer. C’est un endroit que j’ai désespérément cherché et que je n’ai pas trouvé. Je l’ai donc créé… » déclare la fondatrice de la Casa Clara.

La Casa Clara a fêté ses dix ans en 2023. Notre approche du répit, consacré à l’accueil et à l’accompagnement des aidants proches, reste innovante et elle est encore aujourd’hui unique en Belgique. Guidée par son leitmotiv « prendre soin de soi pour prendre soin de son proche », la Casa Clara n’a cessé de diversifier et de développer son activité, répondant ainsi à une demande croissante. Nous sommes entourés d’un réseau de partenaires qui relaient nos informations et sensibilisent leurs usagers à l’importance de ce répit. Certaines collaborations permettent la prise en charge de l’aidé pour que l’aidant puisse s’accorder du répit à la Casa Clara.
Les parents d’enfants en situation de handicap ou de pathologie lourde, s’épuisent physiquement et psychologiquement, dans un quotidien qui par définition va durer, comme en parle si bien cette maman :

Vous êtes d’une gentillesse exceptionnelle, vos soins sont essentiels pour beaucoup d’entre nous qui sommes souvent surchargés aussi bien mentalement que physiquement. C’est une chance de pouvoir avoir un temps de répit. Merci pour tout !

Il en est de même pour la fratrie, qui se sent isolée et différente en raison de son vécu.
Pour prévenir l’épuisement familial, nous accueillons en répit les parents, les fratries et occasionnellement les enfants, de tout âge, malades ou en situation de handicap. Les différentes formules de répit que nous proposons leur permettent de souffler et de reprendre des forces.
L’offre de répit de la Casa Clara se décline comme suit :
Les bulles de répit, pour un accompagnement personnalisé de deux heures avec un temps d’écoute, un soin (généralement un massage) et une pause en salle de relaxation. Nous pouvons y accueillir un parent seul, un couple, un binôme parent/fratrie ou un binôme parent/enfant en situation de polyhandicap.
Les journées de répit et de ressourcement pour les parents, en petit groupe de six. Outre les soins offerts et la mise à disposition de nos infrastructures bien-être (sauna, jacuzzi, snoezelen), cette formule permet aux parents de rencontrer des pairs, d’échanger et de se sentir moins seuls.
Les journées de répit pour les fratries, où nous accueillons jusqu’à huit frères et sœurs pour une journée de détente avec différents ateliers (cuisine, créativité, relaxation, jeux, massages, jacuzzi).
Les journées de répit pour les familles qui permettent à trois ou quatre familles de venir ensemble à la Casa Clara, passer une journée où nous prenons soin de chacun en tenant compte des besoins spécifiques des enfants présents.
Les événements en famille qui rassemblent un plus grand nombre de personnes. Nous les organisons en dehors de la Casa Clara par exemple au Jardin Botanique, à Planckendael, à Bozar ou dans une plaine de jeux inclusive (Le Monde d’Ayden). En fonction de la demande, lors de ces événements nous prévoyons des encadrants spécialisés pour veiller sur les enfants à besoins spécifiques et permettre aux parents de souffler.
Les permanences, temps de découverte, de rencontre et d’échanges tant avec les professionnels qu’avec les parents, qui permettent de faire le premier pas vers la Casa Clara ou d’y revenir pour une pause-café ou un moment de relaxation.
Ce répit dont l’objectif est de « prendre soin de soi pour prendre soin de son proche » permet également de préserver la qualité de la relation aidant/aidé. Ses bienfaits sont aussi ressentis par les enfants et cela crée un cercle vertueux, comme le soulignent ces nombreux témoignages :

Prendre un moment pour moi me permet d’être mieux avec lui, de retrouver de la sérénité, voir même du plaisir

C’est pour moi primordial de pouvoir souffler et de revenir d’attaque en étant plus sereine auprès de mon enfant malade et de ma famille.

Le moment de répit redonne du souffle pour repartir vers l’avant de manière apaisée. Toute la vie familiale est plus détendue ensuite. »
La Casa Clara, grâce aux moments de répit en groupe, permet également de retisser du lien, de se sentir écouté et compris. Non seulement ils permettent les échanges entre pairs mais aussi de retrouver une certaine place dans la société et de construire de nouveaux projets.

Sans la Casa Clara, je me serais sentie bien seule à plusieurs occasions. Être accueillie en toute bienveillance, pouvoir déposer les émotions qui me traversent… c’est un cadeau immense !

La Casa Clara, lieu de répit et de ressourcement, est située
Boulevard de Smet de Naeyer, 578
1020 Bruxelles
Personne de contact :
Fanny Calcus
0473 20 56 32
info@casaclara.be

Fratrie et handicap

Les frères et sœurs à l’ombre du handicap

Najoua Batis
Chargée de projets – FratriHa

FratriHa c’est avant tout l’histoire de deux amies : Eléonore Cotman et Elise Petit. Elles ont un point commun qu’elles évoquent souvent : elles sont toutes les deux sœurs d’une personne en situation de handicap. Elles en parlent, partagent leurs vécus, leurs peurs, leurs angoisses mais aussi leurs joies et leurs bons moments. Une fois leur scolarité secondaire terminée, elles réalisent que ce qu’elles vivent, d’autres le vivent aussi, sans forcément avoir la possibilité d’en parler.
Ainsi démarre des groupes de paroles entre frères et sœurs, au sein de l’ASBL Inclusion à l’époque. Petit à petit, le projet grandit, se développe, touche de plus en plus de fratries. C’est ainsi que FratriHa devient une ASBL à part entière vers 2020.

Quelles sont les missions de FratriHa ?
FratriHa a trois missions principales :
Sensibiliser les parents et les professionnels sur le vécu des fratries par le biais d’ateliers et de formations, respectivement. Cette sensibilisation peut se faire dans nos locaux ou au sein d’une institution ou ASBL. Nous organisons également des conférences, des colloques ou des journées pour toucher un maximum de personnes sur la question des fratries.
Soutenir les fratries. Pour ce faire nous avons deux beaux outils : « Mon baluchon » et son petit frère « Mon petit baluchon ». Mon baluchon est un baluchon contenant deux livres pour parler du handicap et de la fratrie ainsi que des brochures sur la même thématique. Nous y ajoutons un coloriage grand format et des crayons de couleurs. « Mon baluchon » est adapté pour les fratries de six à dix ans. Comme nous avons reçu beaucoup de demandes pour les plus petits, nous avons lancé « Mon petit baluchon » destiné aux petits de trois à six ans. Le principe est le même, le sac contient deux livres, des brochures et un outil pour parler des émotions. En parallèle, nous proposons des ateliers ludiques animés par une psychologue et des ateliers théâtre animés par une comédienne. Le but étant d’offrir un espace de parole, d’échange et d’écoute aux fratries confrontées au handicap.
Informer les fratries et les familles autour des questions concernant le handicap en travaillant en partenariat avec le réseau. En effet, nous sommes situés dans la maison de l’aidance à Laeken et partageons les bureaux avec la Casa Clara, les Jeunes Aidants Proches, le Réseau SAM et sommes en lien étroit avec des professionnels ou des institutions du secteur. Cela nous permet de diffuser des informations tant aux parents qu’aux fratries.

Mais pourquoi s’intéresser autant aux fratries, elles ont l’air d’aller bien… ?!
Alors oui, souvent, les frères et sœurs de personnes en situation de handicap ont l’air d’aller bien. C’est le constat que font de nombreux parents qui sont les premiers à nous dire : mes enfants s’adorent, pourquoi mon fils/ma fille devrait venir à vos ateliers, ils s’entendent parfaitement !
Lorsque le handicap arrive dans une famille, c’est un véritable séisme qui s’abat sur la famille, dans un premier temps du moins. Cette annonce est souvent accompagnée d’une multitude de questions, d’incertitude, de déni, d’incompréhension, de culpabilité ou de sentiment d’injustice. Dans ce séisme qui touche les parents de plein fouet, on retrouve une fratrie qui, bien malgré elle, en est l’épicentre. Les frères et sœurs sont là, présents, observateurs silencieux d’un paysage de désolation. Les parents ne sont plus les mêmes, il y a les rendez-vous médicaux, il y a la tristesse, il y a du changement sans que la fratrie ne comprenne pourquoi. Sans qu’on lui explique, Sans qu’on mette des mots. Parfois parce qu’on les a « oubliés » dans cette tempête qu’ils ne maitrisent déjà pas eux-mêmes, puis de toute façon ils sont jeunes, ils s’habitueront… Mais souvent, on a voulu les préserver d’une réalité douloureuse, les protéger du séisme et de ses conséquences. Et le temps passe comme ça…
Tant bien que mal, la fratrie va s’adapter certes, s’habituer surement à cette nouvelle réalité. Les psychologues et chercheurs qui se sont penchés sur la question constatent qu’ils et elles se feront oublier, ne voudront pas causer plus de peine aux parents, se feront les plus discrets possible de sorte qu’ils apprendront à taire leurs émotions, leurs peurs, leurs angoisses, leurs questions auxquelles il n’existe pas de réponses toutes faites : Pourquoi mon frère et pas moi ? Est-ce que mes enfants seront aussi handicapés ? Et quand mes parents seront plus là, qui s’en occupera ? Est-ce que ma sœur va vivre longtemps ? Est-ce que mon frère va guérir un jour ? Ces questions apparaissent très tôt et ont peu d’espace où s’exprimer, voire aucun. C’est là qu’intervient FratriHa : Donner un espace d’expression, d’écoute et d’échange pour ces frères et sœurs. Mettre des mots sur les maux, mettre des mots sur les joies aussi car non, tout n’est pas noir tout comme tout n’est pas rose. C’est dans ces nuances de couleurs que s’inscrivent nos ateliers ludiques ou nos ateliers théâtre : s’exprimer et oser le faire, partager sans craintes de moqueries ou d’incompréhensions, écouter et être écouté, partager sans jugement.

Alors comment faire de la place aux frères et sœurs, quels sont leurs besoins ?
Tous les parents, mêmes sensibilisés à la question n’ont pas le temps ou la possibilité d’inscrire son enfant à nos ateliers. Ceci dit, il est possible de faire une place aux frères et sœurs de personnes en situation de handicap. Loin de nous l’idée d’être exhaustif, mais voici trois pistes concrètes.
Tout d’abord, ce qui nous revient dans les besoins des fratries, c’est l’information sur le handicap ou la maladie. De nombreux parents et des professionnels ne pensent pas à inclure les fratries dans l’information autour du handicap : c’est quoi comme handicap, comment ça évolue, quelles répercussions, etc. Il n’existe pas toujours des réponses à ces questions ou alors les réponses sont pleines d’incertitudes, il n’empêche qu’il vaut mieux partager un maximum d’informations que de laisser la fratrie s’imaginer des choses ou aller chercher sur internet. Tant les professionnels que les parents : donnez les informations (même partielles) autour du handicap aux frères et sœurs.
Ensuite, avoir du temps pour soi. En effet, la vie familiale tourne autour du handicap et c’est normal. La famille tout entière est prise dans ce tourbillon et la fratrie est oubliée puisque les frères et sœurs ne font pas le poids face à l’attention que requiert le handicap. Prévoir des moments avec le frère ou sœur est un moyen de répondre aux besoins des fratries. Un moment privilégié avec un des parents peut aider à donner le sentiment d’exister aussi en tant qu’enfant et non uniquement en tant que « frère ou sœur de ».
Enfin, avoir la possibilité de parler du handicap et des émotions qu’il suscite. Si les parents peuvent le faire, il y a des livres comme ceux que nous proposons pour parler du handicap et des émotions. Si les parents ne se sentent pas capables, et nous en rencontrons souvent, il y a des psychologues mais aussi d’autres professionnels qui gravitent autour de la famille et qui peuvent aussi prendre ce temps-là. On peut également trouver dans l’entourage, une tante, un oncle, un grand-parent, un ami ou une amie de la famille qui peut être un soutien pour parler du handicap.

Pour plus d’informations, consultez notre site www.fratriha.com, envoyez-nous un email à fratriha@fratriha.com ou encore appelez-nous au 0498/48.32.48

Changer de focus :

Prendre soin des parents pour mieux accompagner la personne en situation de handicap

En cas d’urgence dans un avion, les masques à oxygène se libèrent pour que vous le placiez d’abord sur votre visage puis sur celui de votre enfant. Cette consigne peut sembler contre intuitive et pourtant, il est essentiel que vous soyez, vous, parent, dans de bonnes conditions pour être ensuite en mesure d’aider votre enfant. Cette situation d’urgence est vécue par les parents de personnes en situation de handicap au quotidien et il manque encore trop de masques à oxygène pour leur permettre d’être dans de bonnes conditions.
Une maman m’a un jour confié : « La seule solution que l’on ait trouvée à l’heure actuelle, c’est de ne pas mourir ». Cette phrase bouleversante reflète la réalité vécue par des milliers de familles en Belgique. En 2018, on estimait à 128 000 le nombre de familles concernées par le handicap d’un enfant.
Cette urgence repose sur trois facteurs principaux :
des coûts supplémentaires liés au handicap, alors que dans 48 % de ces foyers, un des parents doit arrêter de travailler, faute d’alternatives.
une dépendance importante de l’enfant à ses parents tout au long de sa vie, impactant profondément la dynamique familiale, sociale et conjugale.
un accès aux informations qualifié de « parcours du combattant », comme si les parents étaient les premiers en Belgique à avoir un enfant en situation de handicap.
Beaucoup de services sont destinés aux personnes en situation de handicap, ce qui est essentiel, mais peu d’entre eux se concentrent sur les parents.
Or ce sont eux les principaux acteurs du bien-être et du développement de leur enfant. Comme le rappelle Ri de Ridder dans Au chevet de nos soins de santé : « Si nous devions remplacer les aidants proches par des professionnels, notre système de soins serait tout simplement impayable. » La moindre des choses est donc de prendre soin d’eux.
C’est face à ce constat que j’ai décidé de créer L’Univers de RAPH’, une ASBL qui a pour mission de faciliter la vie quotidienne des parents d’enfants en situation de handicap. Avec eux, nous avons co-créé MyRaph’, une plateforme en ligne qui recense les services disponibles en Wallonie et à Bruxelles : solutions de garde, matériel adapté, aides pour les vacances, et bien d’autres besoins du quotidien.
Notre philosophie est simple : mettre notre expertise professionnelle au service du vécu des parents pour construire la solution dont ils ont besoin.
Comment ça fonctionne ?
Les services qui offrent des solutions pour aider les parents peuvent s’inscrire gratuitement sur la plateforme. Ensuite, les parents peuvent consulter les fiches détaillées des services inscrits. Les professionnels de santé et du secteur social (assistants sociaux, logopèdes, kinésithérapeutes…) peuvent également utiliser la plateforme pour orienter les familles. Nous vous conseillons de créer un compte afin de sauvegarder vos services favoris et être informé des nouveautés à venir. Et croyez-moi, il y en a beaucoup ! Ensemble, nous pouvons soulager ces parents qui font face à une charge immense et leur permettre, enfin, de se sentir soutenus.

Plus d’infos sur l’ASBL :
www.luniversderaph.com
Découvrir MyRaph’ :
myraph.luniversderaph.com/categories
Nous contacter :
luniversderaph@gmail.com
Nous soutenir :
www.uningoapp.com/basic_form?org=RAPH

Une initiative parentale qui évolue

Mat & Eau

Sylvie Delsaut
Directrice – Mat & Eau

L’ASBL Mat & Eau a vu le jour en 2013 grâce à Madame Valérie Lessire et Monsieur Gaëtano Rotolo, avec pour mission principale d’offrir des activités accessibles, ludiques et épanouissantes aux personnes en situation de handicap. Parmi elles, Matéo, leur fils, avait été exclu du cadre éducatif dont il bénéficiait à l’époque.
Depuis dix ans, l’activité centrale de l’association a été le maintien d’une piscine accessible aux personnes à mobilité réduite, dans un cadre familial. Progressivement, un jardin sensoriel a enrichi ce projet, offrant aux aidants proches un moment de répit dans un espace sécurisé, prolongeant ainsi l’expérience au-delà de la baignade.
Faute de reconnaissance par les pouvoirs publics, la famille, soutenue par des amis, des bénévoles et des sympathisants, a développé des activités annexes pour récolter des fonds. Ces initiatives, en plus de générer des ressources, ont permis aux personnes en situation de handicap d’y participer activement. Parmi ces activités, on compte la gestion et la transformation de bois de palettes en meubles, le tri de bouchons en plastique destinés au recyclage, la vente de meubles donnés, et plus récemment, la gestion des bouchons en liège.
Ces diverses initiatives, réalisées avec l’aide de volontaires, qu’ils soient en situation de handicap ou non, sont aujourd’hui une des sources de revenus de l’ASBL Mat & Eau.
Face à la demande croissante des familles d’enfants devenus jeunes adultes sans solution d’accueil, l’ASBL a répondu à l’appel. Elle a utilisé ses économies pour louer une maison dans le quartier et y développer un service d’activités de jour. Parents, amis et bénévoles se sont une fois encore mobilisés pour soutenir financièrement cette nouvelle infrastructure.
En 2022, le service a reçu l’agrément de l’AVIQ, marquant une belle reconnaissance après des années de travail. Six jeunes adultes neuroatypiques bénéficient aujourd’hui de l’accompagnement offert par le service « À mi-chemin ».
Cependant, les subventions obtenues restent insuffisantes pour couvrir les coûts de fonctionnement : salaires, loyer, gestion des infrastructures et autres frais.
La demande d’accueil est bien là (une liste d’attente s’est d’ailleurs constituée) et pour répondre aux besoins de tous, l’ASBL doit quitter ses locaux actuels afin d’offrir plus de confort, d’espace et de sécurité.
2023-2024, les fondateurs reprennent leur bâton de pèlerin et sollicitent entreprises, bénévoles et pouvoirs publics. Grâce au soutien d’un agent immobilier engagé, un nouveau bâtiment a été mis à disposition. Mais il reste entièrement à équiper : chauffage, sanitaires, électricité, ameublement, etc.
En ce mois d’octobre 2024, nous intégrons et inaugurons ces nouveaux locaux. Nous tenons à remercier tous les entrepreneurs et bénévoles qui ont contribué, gratuitement, à la réalisation de ce projet.
Actuellement, six bénéficiaires fréquentent le service. Quatre autres pourraient être accueillis, mais faute de financements stables pour engager un personnel à temps plein, nous sommes contraints de limiter les admissions. Ces personnes, en raison de leur handicap, nécessitent un accompagnement professionnel constant.
Nous avons de nouveaux et beaux locaux, mais pour combien de temps ? Combien de campagnes de sensibilisation devrons-nous encore mener pour équilibrer le budget à la fin de chaque mois ? Quand pourrons-nous enfin nous concentrer sur l’évolution pédagogique et sociale du projet, plutôt que sur sa survie financière ?
Mat & Eau a été et reste le combat d’une famille qui s’est trouvée sans solution d’accueil pour leur fils. Aujourd’hui, d’autres familles se retrouvent encore dans la même situation. Nous avons la place pour les accueillir. Mais où trouver les moyens pour leur offrir cette chance ?

Contacts

Le service d’accueil et les activités de Mat & Eau, ainsi que le siège social de l’association, se situent à Namur :
Rue de la Libération, 11
5004 Bouge
Accès en bus :
Ligne n°5 au départ de Namur (adaptée PMR) Namur Hayettes Beez, Arrêt Rue de la Libération

Email : info.mateteau@gmail.com
Téléphone : 0470 029 310
ASBL « Mat’et Eau » et « À mi-chemin »
Numéro d’entreprise : 0521786358
Compte bancaire : BE16 0688 9706 0774

Handicap et parentalité

Le fil(m) de la vie

Réaliser un film ou faire un enfant. De la création à la procréation. Le fil(m) de la vie. Je voudrais réaliser le film imaginé dans ma tête. Il sera l’œuvre de ma vie, mon « enfant ». Je rêve que le moindre détail atteigne la perfection des images que je m’en suis faites. Je voudrais le meilleur et j’espère qu’il sera apprécié par le monde entier. L’histoire me semble bien bâtie et le projet solide, mais longue sera la gestation pour qu’enfin il naisse.
Lorsqu’un enfant est conçu avec l’ambition de l’amour, tout parent l’imagine dans le même esprit. Avant même sa naissance, il sera une image rêvée, le reflet du bonheur, la projection d’un film avec un happy end.
Si concevoir un enfant revient à s’en remettre à la grande loterie de la vie, concevoir un film revient à s’en remettre à la confiance placée en la qualité de chacun des intervenants : du scénariste au producteur, des acteurs à chaque membre des équipes, à chaque étape.
Dans la réalité de ce long processus, il est rare d’obtenir toutes les conditions rêvées. Des obstacles et des handicaps apparaissent souvent.
Que ce soit un scénario décevant, un comédien espéré que l’on n’a pas, des moyens techniques ou un nombre de jours de tournage insuffisants, des conditions climatiques capricieuses, etc.
Mais au final, la paternité me reviendra en qualité de réalisateur, qu’il soit donné réponse à mes attentes ou qu’il faille composer avec de très nombreuses restrictions. Le film m’apparaîtra imparfait. J’y verrai tout ce qui n’a pu correspondre à celui gravé dans ma tête. Et les autres feront de même, sans chercher à comprendre. Je me sentirai responsable, presque « coupable ». J’en oublierai la somme des innombrables petites réussites, les exploits accomplis pour faire exister le film au mieux, au plus près de mes espérances.
Chaque impression négative d’un spectateur me déchirera les entrailles et me renverra vers une paternité qui n’était pas celle que j’avais imaginée.
Lorsqu’un enfant naît porteur de déficience, le ressenti d’un parent n’est pas différent, hormis le fait qu’il ne maîtrise en rien le processus de procréation. Des pages entières du scénario sont arrachées. Des scènes entières, consciencieusement imaginées, sont supprimées. Le diagnostic fait oublier que la naissance d’un enfant, qu’il soit atteint de déficience ou non, n’est que le début du processus de sa réalisation.
Il reste une histoire en devenir et à écrire, un scénario à réaliser, à sa mesure. Mais pour ce faire, il est impératif de trouver l’énergie pour se retrousser les manches, embrasser et s’approprier le « sujet » et, par-dessus tout, trouver, autour de soi, une équipe prête à vous aider à relever le défi.
Il m’est arrivé, durant ma carrière, de devoir diriger des films sur la base de scénarios jugés très imparfaits. Sans aide, sans bonne volonté des équipes, il m’aurait été impossible de mener à bien ces aventures. Et de garder en souvenir l’incroyable épopée, avec le plaisir et la fierté d’avoir essayé. Sans soutien et sans espoir, je n’aurais jamais trouvé l’énergie et la force de tenter de réaliser simplement le meilleur film que je puisse faire et de me battre pas à pas pour lui. De la même manière qu’il est impossible à un réalisateur de tenir tous les rôles, que ce soit physiquement ou compte tenu des compétences de chacun, des parents ont besoin d’être entourés, aidés et soutenus. Et puis, comment appréhender un film si l’on se focalise uniquement sur les problèmes, obstacles et autres aspects négatifs ? Or, le diagnostic, tel un verdict impitoyable, occulte trop souvent toutes les autres facettes de l’enfant, au point de coller sur son front l’étiquette d’« handicapé », tel un carcan, qui masque toutes ses richesses, toutes ses potentialités, jusqu’à la négation de l’être. Comment pourrait-on envisager un avenir positif lorsque l’exposé de la situation, le diagnostic, est présenté sous l’unique prisme de l’incapacité, de la déficience et de leurs perspectives handicapantes ?
Lorsque le diagnostic de mon fils a été posé, quatre mois après sa naissance, il m’a fallu du temps pour appréhender ce scénario imprévu et en accepter les défis innombrables. Il m’a fallu du temps pour me rappeler qu’il pourrait engendrer le plus beau des films, que la qualité ne se mesure pas aux moyens mis à disposition, qu’il faut réécrire et adapter l’histoire avec ce qui nous est imposé. Il m’a tout simplement fallu du temps pour comprendre que la création, au même titre que la procréation, n’était pas une compétition ; que les jugements et valeurs sont des prismes pervers et variables selon l’angle choisi ; que le quotient intellectuel est une valeur construite selon une norme douteuse qui ne tient nullement compte d’autres facultés, dont celles d’aimer et plus simplement… d’être. Il m’a enfin fallu du temps pour comprendre que Lou n’était pas un handicapé, mais une personne unique et riche de sa réalité, avec ses difficultés liées à sa cécité et à sa différence mentale.
Luc Boland, papa de l’artiste Lou B., fondateur de la Fondation Lou, de la Plateforme Annonce Handicap et de The Extraordinary Film Festival.
Extrait de « La folle épopée de Lou » – éditions Racine
Auteur : Luc Boland
© Éditions Racine, 2024

Iriscare, Coordin-acteur de la politique aux personnes handicapées à Bruxelles

Enjeux et perspectives

Iriscare a été créé en 2019 afin d’accueillir les compétences en matière de social et de santé transférées à Bruxelles suite à la sixième réforme de l’État, telles que les allocations familiales, le financement des maisons de repos et de soins, les conventions de revalidations, mais également des compétences en matière de handicap telles que les allocations pour l’aide aux personnes âgées, les allocations familiales majorées pour enfant atteint d’une affection ou d’un handicap,…
Iriscare, organisme bicommunautaire d’intérêt public géré de manière paritaire, est devenu un acteur incontournable en matière de handicap à Bruxelles. On notera également que différentes commissions au sein d’Iriscare composées de prestataires, organismes assureurs bruxellois et associations de personnes handicapées fonctionnent comme des « think tank » et soumettent des propositions aux organes de gestion d’Iriscare.
Dans le cadre de la reprise des compétences héritées du fédéral, Iriscare a créé le Centre d’évaluation de l’autonomie et du handicap en 2022 (pour les enfants de moins de 21 ans atteints d’un handicap ou d’une affection et les personnes âgées de plus de 65 ans en perte d’autonomie), en privilégiant une approche multidisciplinaire du handicap par rapport à une approche plus médicale. Une telle approche est également de mise au sein du Collège multidisciplinaire qui se prononce sur les projets thérapeutiques des conventions de rééducation fonctionnelle et les demandes dérogatoires individuelles.
Iriscare a développé son rôle en matière de handicap en reprenant la gestion (financement et agrément) de toutes les structures d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement bicommunautaires pour personnes handicapées (gérées précédemment par l’administration de la Cocom).
En 2021, Iriscare, en étroite collaboration avec la Cocof a commandité et participé au financement du cadastre du handicap en Région bruxelloise constitué de deux volets : étude de l’offre d’aides et de services disponibles en Région bruxelloise pour les personnes en situation de handicap et étude des besoins des personnes en situation de handicap en Région bruxelloise. Il était essentiel d’avoir une vision unifiée des différentes politiques menées en matière de handicap sur le territoire bruxellois et ce, quel que soit le niveau de pouvoir et avec une multiplicité d’acteurs. L’objectif de celle-ci était de permettre de vérifier dans quelle mesure l’offre de services devait être adaptée pour mieux répondre aux attentes des personnes en situation de handicap à Bruxelles.
Ce cadastre a été réalisé entre 2021 et 2023, les résultats de ces 2 études ont été livrés et les recommandations ont permis d’établir les priorités et axes de travail sur le plus long terme.
Parmi les recommandations, on notera que face à la multiplicité des acteurs en matière de handicap sur le territoire bruxellois, il était important de centraliser l’information quant aux droits des personnes et à l’offre de services disponibles, ce qui s’est concrétisé par la réalisation du site internet handicap.brussels en 2024. Cet outil vise à être le portail d’informations le plus complet sur l’offre d’aides et de services à Bruxelles pour les personnes en situation de handicap. Il s’agit d’un premier pas vers un guichet unique demandé par les associations de personnes handicapées depuis de nombreuses années.
De même, suite à cette étude, Iriscare pilote le projet de création d’un registre unique pour la gestion des listes d’attente pour les institutions pour personnes handicapées. Ce registre permettra aux personnes de ne plus devoir entreprendre des démarches d’inscription multiples et permettra également une meilleure visibilité et un meilleur pilotage des places disponibles.
L’étude propose également différentes pistes afin de développer une programmation adaptée d’une offre diversifiée. Dans ce contexte, différents projets pilotes sont également soutenus comme par exemple l’accompagnement des personnes handicapées vieillissantes ; une maison de répit pour des jeunes de trois à quinze ans sourds, malentendants, ayant des troubles du langage et/ou porteur de troubles du spectre autistique et/ou d’une déficience mentale ; une cellule mobile d’intervention qui accompagne des personnes de plus de 16 ans et s’étant vues attribuer un double diagnostic (déficience intellectuelle et troubles psychiques)…
Iriscare a également collaboré à la réalisation du projet de la Maison de l’autisme (autisme.brussels), dont les missions seront l’information et la guidance, la formation et la sensibilisation ainsi que les loisirs et rencontres.
En 2024, Iriscare a activé la compétence des aides individuelles à l’inclusion, précédemment exercée par le PHARE (Cocof). Le développement de ce projet s’est fait en collaboration avec ce dernier afin de garantir la continuité des droits des personnes concernées. Dans un souci de cohérence avec la gestion des remboursements des aides à la mobilité (voiturettes, cadres de marche…), les organismes assureurs bruxellois sont devenus l’opérateur de cette politique. Les personnes doivent désormais s’adresser à leur mutuelle pour les demandes d’aide individuelle. Les organismes assureurs ayant pour avantage d’offrir un service de proximité et disposent d’une vue holistique de la personne, étant donné qu’ils interviennent également dans le domaine des remboursements des soins de santé. Ce projet s’inscrit dans une volonté de centralisation des politiques du handicap et d’une meilleure coordination.
Iriscare poursuit son développement et devient un acteur incontournable et de plus en plus central en matière de handicap à Bruxelles. Il collabore activement avec les autres niveaux de pouvoir afin de coordonner ces différentes politiques sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

Contacts

Iriscare, organisme d’intérêt public bicommunautaire, pour la protection sociale en Région bruxelloise
Rue Belliard 71 boîte 2
1040 Bruxelles

Site : www.iriscare.brussels/fr/
Téléphone : 02 435 64 00 tous les jours de 8h30 à 16h30.

European Disability Card (EDC)

Un avantage encore trop peu connu

Une carte européenne pour favoriser un meilleur accès des personnes en situation de handicap à la culture, au sport et aux loisirs.
Actuellement valable dans huit pays européens (Belgique, Chypre, Estonie, Finlande, Italie, Malte, Slovénie et Roumanie), la carte EDC sera mise en place et reconnue dans tous les pays de l’Union Européenne en 2028.
Cette carte, personnelle et gratuite, donne droit à une série d’avantages pour les activités de loisirs, comme des réductions sur un billet d’entrée au musée, un meilleur accès aux attractions dans un parc thématique ou encore des places accessibles réservées aux PSH.
Elle témoigne également de la reconnaissance du handicap, même s’il n’est pas visible.

Qui peut l’obtenir et comment ?
Toute personne qui bénéficie d’une reconnaissance, d’une aide auprès d’une des institutions belges chargées de mener la politique en matière d’intégration des PSH, comme la DGPH, l’AVIQ, Iriscare ou le PHARE.
Depuis début 2024, cette carte est envoyée automatiquement aux personnes qui y ont droit ; elle est aussi renouvelée automatiquement.
Toutes les informations sur le site :
eudisabilitycard.be/fr

Comment et où l’utiliser ?
Quels sont les partenaires ?
Un aperçu des partenaires proposant des avantages avec la carte EDC est disponible sur le site précité.
Il est possible d’effectuer des recherches sur le nom et/ou le type d’activité, la localisation et le type d’avantage.
Pour en savoir plus, cela vaut la peine de consulter le site internet des partenaires et/ou de les contacter directement par mail ou téléphone. Attention que certains sites ou parties de sites ne sont pas toujours accessibles aux PMR… renseignez-vous bien !

Autres informations utiles
D’ici 2028, les citoyens européens en situation de handicap pourront disposer d’une carte européenne de stationnement harmonisée et acceptée dans tous les pays de l’Union européenne.

Aides et droits

Martine Delchambre
Chargée de projets à la LUSS

Trouver et comprendre les informations nécessaires à la reconnaissance du handicap et à l’obtention d’aides est un véritable parcours du combattant pour un grand nombre de personnes en situation de handicap (PSH).
Il y a quatre ans déjà, la LUSS et Esenca (anciennement ASPH) ont décidé de s’associer afin de développer un outil d’information simple et accessible sur les droits des personnes en situation de handicap (PSH). Il visait à informer les personnes porteuses d’un handicap et leurs proches sur les démarches administratives à réaliser, les aides existantes et les services les plus adéquats pour les accompagner. Ce travail a été réalisé avec des partenaires et des associations de patients et de proches concernés par cette problématique.
Cet outil s’appelle « J’ai des droits » ; il est disponible en version papier et en version PDF sur le site jaidesdroits.be.
Publié fin 2021, il a été mis à jour en 2024 à la suite des changements qui ont eu lieu à Bruxelles en début d’année et afin d’inclure également les suggestions reçues par rapport à la version précédente.
L’âge de la PSH impactant ses droits, différents niveaux de pouvoir (fédéral et régional) étant également impliqués dans la reconnaissance de handicap et l’attribution des aides, six dépliants ont été développés, trois pour Bruxelles et trois pour la Wallonie : moins de 21 ans, entre 18 et 65 ans, 65 ans ou plus.

Quelles sont les instances à contacter ?
Au niveau fédéral
Les compétences fédérales en matière de handicap sont du ressort du SPF Sécurité Sociale Direction Générale Personne Handicapée (DGPH).
En Wallonie
L’instance wallonne pour les sujets relatifs au handicap est l’Agence pour une Vie de Qualité (AVIQ).
À Bruxelles
Deux instances bruxelloises se répartissent les compétences en matière de handicap : l’Organisme d’Intérêt Public Iriscare et le Service Personne Handicapée Autonomie Recherchée (PHARE).

Qui contacter, quand ?
Deux sites internet existent : wikiwiph.AVIQ.be et handicap.brussels. Pourquoi ne pas les faire évaluer par des PSH, les adapter selon leurs conseils, et surtout, à quand une simplification des procédures et une automatisation des droits ? Le plus rapidement possible, espérons-le !

Se faire conseiller dans les démarches
Plusieurs services existent :
<ul><li>Le service social de la mutuelle</li>
<li>Les services sociaux des communes, des CPAS</li>
<li>Les handicontacts dans les communes</li>
<li>Les assistants sociaux de la DGPH (voir liste des permanences locales sur le site de la DGPH)</li>
<li>Les assistants sociaux de l’AVIQ (Wallonie), de Phare et Iriscare (Bruxelles)</li>
<li>Les associations de patients et de proches peuvent également informer et soutenir les PSH.</li></ul>

Inform’Action 2024
Début 2024, à la demande des associations de patients et de proches, la LUSS a organisé deux journées d’Inform’Action, une pour la Wallonie et la seconde pour Bruxelles.
Deux journées très enrichissantes grâce à la présence d’excellents orateurs des différentes instances, grâce aussi aux échanges entre les patients, proches et professionnels du handicap.
Quelques témoignages valent mieux qu’un grand discours !

J’ai appris énormément. Le personnel de la DGPH et de l’AVIQ était très compétent et très engagé, avec l’envie d’aider les PSH. J’habite à plus d’une heure de route, mais le déplacement valait cent fois la peine ! Merci pour l’organisation. À refaire régulièrement !
– Un membre d’une association de patients

Conscients des stigmates laissés par la pandémie du covid, cumulé à la complexité de la « lasagne institutionnelle » belge et de la lourdeur de certaines de nos procédures, il nous tient à cœur de remettre l’humain au centre de nos échanges. Cette séance d’information proposée par la LUSS a été une formidable expérience humaine.
La présence d’intervenants d’organismes différents et la présence de professionnels d’autres horizons permet de réseauter.
Le réseautage est essentiel dans nos missions quotidiennes. Mettre un visage sur un nom, parfois rencontré à de multiples reprises dans nos centaines de courriels reçus, donne une dimension humaine aux futurs échanges. Ces rencontres sont, souvent, la première pierre de beaux partenariats, projets, etc.
Mais n’oublions pas pour qui nous faisons cela ? La rencontre des bénéficiaires ou simplement du public est essentielle.
Cette mission d’information se fait par le biais de séances ciblées, comme celle organisées par la LUSS sur « les allocations tout au long de la vie », mais aussi lors de salons, foires etc. Rencontrer la population nous permet bien souvent de clarifier des informations et de s’assurer de leur bonne compréhension. Ces rencontres sont aussi l’opportunité de se rendre compte des difficultés posées par nos procédures que nous remontons en interne pour essayer d’ajuster celles-ci et nos pratiques.
– Les intervenants de l’AVIQ à l’Inform’Action

Dans le cadre des sessions d’informations proposées à la LUSS, l’équipe de Namur/Luxembourg promeut l’accès aux droits relatifs à la législation de la DGPH. Force est de constater que les réseaux constitués de personnes en situation de handicap (PSH) et de professionnels ont respectivement besoin de soutien pour faire valoir leurs droits et de comprendre le système d’évaluation du handicap.
La collaboration existant entre les différents services de l’AVIQ et de la DGPH est le résultat d’un objectif commun : l’accès aux droits et à l’information, de la naissance à la fin de vie d’une PSH. C’est entre autres à travers ce regroupement que nous veillons à ce que les législations soient accessibles à tous et de manière uniforme. Ce précieux partenariat avec les professionnels œuvrant pour les mêmes causes est une solution afin que les PSH puissent bénéficier des allocations ou autres avantages auxquels ils ont droit.
– Nancy Modrian, DGPH

Sur le site d’Action Parkinson, il est possible de consulter une dizaine de fiches d’information. Ces fiches développent et débroussaillent l’environnement de nos membres. Les thèmes sont variés : autonomie, traitement, exercices de logopédie, séjours intensifs…
Il y en a notamment une qui concerne ce qu’on a appelé « le guide des aides sociales » qui renseigne les démarches administratives et la mobilité. Ces fiches exigent une mise à jour régulière. La journée « inform’action handicap » m’offrait l’occasion d’assurer le suivi de trois points (SPF, Iriscare, Phare).
Le fait d’avoir eu les contacts des trois intervenants m’a permis de leur envoyer à chacun mes mises à jour et de leur demander de les corriger. Cette formation m’a ainsi permis d’avoir un document fiable.
Dommage que chaque association passe son temps à développer le même genre d’outil pour ses membres alors que c’est une matière commune. Ce serait tellement mieux une mutualisation des services !
– Un membre d’une association de patients

Trouvez de l’information en ligne
Au niveau fédéral
SPF Sécurité Sociale Direction Générale Personne Handicapée (DGPH)
Site web : handicap.belgium.be
Au niveau régional
Deux sites spécifiquement consacrés au handicap existent au niveau des régions : wikiwiph.aviq.be (Wallonie) et handicap.brussels.
En Wallonie
Agence pour une Vie de Qualité (AVIQ)
Site web : www.aviq.be.
À Bruxelles
Organisme d’Intérêt Public Iriscare
Site web : www.iriscare.brussels
Service Personne Handicapée Autonomie Recherchée (PHARE).
Site web : phare.irisnet.be

2014-2024 : une décennie de politiques du handicap

Quels progrès réalisés ?

Thomas Dabeux
Responsable plaidoyer Inclusion ASBL

Il y a tout juste 10 ans, Thérèse Kempeneers-Foulon, alors secrétaire générale de notre association – désignée sous le nom d’AFrAHM à l’époque – dressait dans ce même magazine un état des lieux des difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap intellectuel et leurs familles. Deux législatures plus tard, quelles sont les avancées obtenues et quels sont les chantiers toujours en cours ?
Parlons des avancées, d’abord. Il y en a eu. Pensons, par exemple, à l’abolition de la minorité prolongée avec l’entrée en vigueur d’un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine ; à la création de conseils consultatifs des personnes en situation de handicap, présents désormais à tous les niveaux de pouvoir ; à la mise en place de dispositifs visant à rapprocher l’enseignement spécialisé de l’enseignement ordinaire ; à l’introduction d’un article 22ter dans la Constitution belge consacrant le droit à l’inclusion et aux aménagements raisonnables ; à la suppression du statut de cohabitant dans le calcul de l’allocation d’intégration ; à une plus grande diffusion du langage FALC (Facile à Lire et à Comprendre), via sa reconnaissance à Bruxelles comme service agréé et subventionné ainsi que son apparition notable sur les sites de la RTBF durant la dernière campagne électorale ; à la reconnaissance d’associations d’auto-représentants ; à l’implémentation plus systématique du handistreaming dans les différents niveaux de pouvoir, à l’adoption du premier plan fédéral handicap 2021-2024, et j’en passe.
Il faut bien entendu saluer ces initiatives. Mais ces catalogues d’actions, parfois très disparates, ne sont pas forcément une garantie de changement systémique et d’une amélioration perceptible du quotidien des personnes et des familles concernées par le handicap intellectuel. En 2024, le handicap reste un des premiers critères d’exclusion et même le premier en contexte scolaire, selon le dernier rapport annuel d’UNIA.
Ainsi, les multiples « stratégies » et autres « plans d’actions » portés dans les différents niveaux de pouvoir cachent parfois mal un manque de vision à plus long terme. Quelle société inclusive veut-on pour demain et quels moyens mobilise-t-on concrètement pour y parvenir ?

Quatre enjeux essentiels
Lorsque l’on se replonge dans l’interview de Thérèse Kempeneers de 2014, on ne peut qu’être interpellé par la persistance des problématiques évoquées, remontant d’ailleurs déjà souvent à bien plus d’une décennie. Cela témoigne d’une incapacité des politiques publiques à apporter des réponses satisfaisantes aux difficultés rencontrées par les familles. Parmi ces enjeux essentiels, je voudrais en souligner quatre :

Le manque de solutions de qualité pour les personnes de grande dépendance
Il y a un peu plus de dix ans, en 2013, la Belgique a été condamnée par le Comité européen des droits sociaux pour le manque de solutions d’accueil pour les personnes de grande dépendance. Malgré la mobilisation du secteur et la mise en place de plans régionaux qui ont fait suite à cette condamnation, la situation, dix ans plus tard, est loin de s’être améliorée significativement. Le nombre de personnes inscrites sur les listes d’attente et en recherche d’une solution adaptée – pas forcément d’une place en institution, la nuance est importante – n’a en effet cessé d’augmenter.
Ce n’est pas une politique faite de quelques conventions nominatives par-ci, d’agréation ou rénovation de quelques places par-là, qui permettra de répondre de manière durable à ces situations d’urgence. C’est la notion même d’urgence qu’il convient de questionner. À quand une politique qui prônera des parcours de vie sans rupture, ne laissant plus personne sans solution ? Pour reprendre les mots du conseiller d’État français, Denis Piveteau, auteur du rapport « zéro sans solution » (2014), ce dont nous avons besoin, c’est « de s’organiser, non pas seulement pour bricoler des solutions au coup-par-coup, mais pour être collectivement en capacité de garantir que cela n’arrivera plus ». C’est donc d’anticipation et d’un véritable Master plan dont notre secteur a besoin.

L’accès à l’enseignement ordinaire avec un accompagnement adapté
L’inclusion des élèves en situation de handicap intellectuel dans l’enseignement ordinaire reste pour l’heure extrêmement complexe à mettre en œuvre. Sous l’impulsion d’actions judicaires initiées par Inclusion asbl et soutenues par des acteurs comme Inclusion Europe, la Fédération internationale des droits humains, UNIA ou encore le Délégué général aux droits de l’enfant, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) a été condamnée à deux reprises lors de la précédente législature (2019-2024) pour le manque de progrès accompli en matière d’inclusion scolaire. Un très mauvais bulletin donc pour la FWB. La première condamnation est venue du Comité européen des droits sociaux (février 2021), la seconde de la Cour constitutionnelle (juin 2023). Cette dernière a annulé plusieurs dispositions du décret « pôles territoriaux » jugées discriminatoires pour les enfants concernés par le handicap intellectuel.
Sur ce dossier, nous avons d’ailleurs le sentiment d’un recul significatif alors que nous n’en étions déjà pas très loin. Rappelons que les premières intégrations d’élèves scolarisés dans l’enseignement de type 2 n’ont seulement été possibles qu’à partir de 2009 et que l’on peut presque compter sur les doigts d’une main le nombre d’élèves en situation de handicap intellectuel bénéficiant aujourd’hui d’un accompagnement de qualité dans l’enseignement ordinaire. Au mieux la FWB stagne, mais le sentiment d’un retour en arrière est bien présent sur le terrain.

Le vieillissement des personnes en situation de handicap intellectuel
En 2023, nous avons porté une campagne sur la question du vieillissement afin de mettre en lumière l’inadaptation croissante des services qui hébergent et accompagnent des résidents plus âgés. Ces aînés se voient en effet souvent réorientés, pour ne pas dire exclus, de services qu’ils ont parfois fréquentés une vie entière. Ils sont alors priés de trouver une nouvelle solution, dans le contexte de saturation que l’on connait. « On ne déracine pas un arbre » disait déjà Thérèse Kempeneers il y a dix ans dans les pages de ce magazine.
L’évolution de la pyramide des âges du public accueilli est pourtant un phénomène on ne peut plus prévisible mais qui semble ne pas avoir été suffisamment anticipé par les pouvoirs publics. Ce vieillissement est aussi, en parallèle, celui des familles, qui aspirent à pouvoir passer le relai sereinement et s’assurer de la qualité de vie de leur proche lorsqu’elles ne seront plus là.

Le soutien à la vie autonome et aux choix de vie
En 2017, la Flandre a opéré un changement radical dans sa politique du handicap avec l’octroi de budgets personnalisés. Ces budgets conséquents (jusqu’à 90.000€/an/personne) permettent aux personnes qui en bénéficient d’opérer de vrais choix de vie et d’organiser leur quotidien comme elles l’entendent.
Financer les personnes plutôt que les services, c’est aussi opérer un basculement de statut : de bénéficiaires de services, ces personnes en deviennent clientes, ce qui a un impact considérable sur les rapports de force et de domination qui s’y jouent.
En Wallonie et à Bruxelles, aucun changement notable en la matière n’a eu lieu et les financements sont restés principalement axés sur une offre institutionnelle « classique ». Les montants alloués aux budgets d’assistance personnelle (BAP) restent marginaux et n’ont pas évolué significativement ces dernières années. Ils ne constituent en tout cas pas une réelle politique de soutien à la vie autonome. Les montants attribués sont par ailleurs bien inférieurs à ceux attribués en Flandre (max 18 000€/an/personne en Wallonie) et ne permettent donc pas aux personnes d’avoir une maitrise suffisante de leurs choix de vie.

D’autres dossiers en attente de solution
D’autres enjeux, souvent connexes, mais aussi fondamentaux que ceux évoqués plus haut, restent sans solution depuis parfois plus d’une décennie. Citons, par exemple, la problématique des longues heures passées dans le transport scolaire, conséquence de la ségrégation des élèves dans des écoles éloignées de leur domicile et la mauvaise répartition géographique des établissements d’enseignement spécialisé ; la qualité de l’enseignement spécialisé et sa capacité à répondre de manière satisfaisante aux besoins de tous les élèves, même ceux parfois trop rapidement identifiés comme « non-scolarisables » ; la privation quasi systématique du droit de vote des personnes sous protection judiciaire, impliquant une sous-représentation des intérêts de ces personnes au niveau politique ; l’accès aux loisirs et à une offre culturelle adaptée ; l’accès à des soins de santé de qualité sur base d’égalité avec les autres.

Le Comité ONU des personnes handicapées appelle la Belgique à agir
En septembre dernier, le Comité des personnes handicapées des Nations Unies – en charge de surveiller l’application de la Convention relative aux droits des personnes handicapées – a rendu ses recommandations à la Belgique. Ces dernières viennent appuyer sans conteste cet état des lieux.
Le Comité appelle d’ailleurs très clairement l’État belge à passer à l’action pour rendre effectif l’exercice des droits des personnes en situation de handicap.

En conclusion
Un sacré bout de chemin reste encore à parcourir si nous ne voulons pas réitérer ces mêmes constats dans dix ans.
Cependant, les défis qui nous attendent ne doivent pas occulter le fait qu’une évolution des pratiques a lieu dans le secteur du handicap, et que l’on a vu émerger, ces dernières années, de nombreux projets et initiatives qui ont beaucoup de sens et qui remettent les personnes au centre de leur propre vie. On a vu l’éclosion de nouvelles formes d’habitats, inclusifs et solidaires. On a vu l’inclusion dans des projets professionnels ambitieux, dans des écoles organisées collectivement pour rendre l’inclusion possible et réussie, etc.
Bien souvent, ces initiatives, et l’accompagnement qui les rend possibles, sont portées à bout de bras par des familles et des professionnels engagés qui souhaitent voir se développer un nouveau rapport au monde, et dans lequel les personnes en situation de handicap trouveront pleinement leur place.
Ces sillons d’une société plus inclusive, nous devons continuer à les creuser ensemble. Et le monde politique a toute sa responsabilité pour en faire un vrai projet de société. Pour cela, il doit y mettre les moyens et accélérer le tempo car le temps de l’action politique est définitivement trop long et s’accommode mal de celui des personnes et de leurs familles.

Double diagnostic

Accompagnement des personnes avec un double diagnostic (déficience intellectuelle et troubles de santé mentale) en Wallonie et à Bruxelles

Joëlle Berrewaerts
Coordinatrice de la formation continue Département de psychologie UNamur

Dans le domaine du handicap, quand on parle de « double diagnostic », on parle de personnes qui ont à la fois une déficience intellectuelle et un ou plusieurs troubles de santé mentale (dépression, anxiété, schizophrénie, trouble bipolaire…). Les besoins exprimés par ces personnes ne sont pas différents de ceux de tout un chacun (besoin de bien-être physique, de reconnaissance, de sécurité, d’intégration, d’activités, de la famille…) mais leur parcours de vie est souvent complexe et jalonné de ruptures comme l’a mis en évidence l’étude menée entre 2010 et 2012 par l’Institut Wallon de Santé Mentale (Minotte et Gosselin, 2012).

Quelques chiffres
La prévalence du double diagnostic est difficile à estimer. Selon Rinaldi (2021), « un grand nombre d’études ont mis en évidence la proportion plus importante de troubles de santé mentale chez les personnes avec déficience intellectuelle (NDLR : DI) par rapport à la population générale. Toutefois, la prévalence exacte des diagnostics de troubles de santé mentale chez les personnes avec DI reste hautement variable selon les études ». Il semble toutefois y avoir un consensus pour déterminer qu’environ 30 % des personnes ayant une déficience intellectuelle présentent un trouble psychiatrique, comme l’ont encore mis en évidence deux méta-analyses récentes.
Dans celle de Mazza et al. (2020), la prévalence globale de troubles psychiatriques concomitants chez les adultes et adolescents présentant une déficience intellectuelle était de 33,6 %. Et dans une méta-analyse portant sur des enfants et des adolescents ayant une déficience intellectuelle, Buckley et al. (2020) arrivent à une prévalence de 38 % ou 49 % en fonction de l’outil de diagnostic utilisé.
Cette prévalence plus élevée ne concerne pas tous les types de troubles psychiatriques. Selon le rapport de l’Inserm sur la déficience intellectuelle (2016), la prévalence de certains troubles de santé mentale est supérieure à celle retrouvée en population générale (troubles du spectre de l’autisme, trouble du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité, troubles de l’humeur) ; pour d’autres catégories, elle est comparable (troubles bipolaires) ou inférieure (abus de substances) aux taux retrouvés en population générale. Enfin, il est difficile de se prononcer avec certitude sur la prévalence de certains troubles (troubles psychotiques, troubles anxieux, troubles de la personnalité), mais leur prévalence semble au moins équivalente.

La question du diagnostic
Il est important que les troubles psychopathologiques soient diagnostiqués le plus tôt possible afin de pouvoir proposer un accompagnement adéquat. Encore aujourd’hui, trop de personnes ne bénéficient d’aucun suivi ou reçoivent des traitements psychopharmacologiques alors qu’elles n’ont reçu aucun diagnostic psychiatrique.
Le diagnostic est difficile à réaliser, certaines caractéristiques de la déficience intellectuelle pouvant être confondues avec des symptômes psychiatriques et inversement. Les troubles psychiatriques se manifestent différemment chez les personnes ayant une déficience intellectuelle par rapport à la population générale. Il est donc important que les psychologues et les psychiatres aient une bonne connaissance de ces particularités. Deux manuels anglophones proposent une adaptation des critères diagnostiques des troubles mentaux aux personnes ayant une déficience intellectuelle : le DC-LD (Diagnostic Criteria for Psychiatric Disorders for Use With Adults With Learning Disabilities/mental Retardation) qui a adapté les critères issus de la CIM-10, et le DM-ID (Diagnostic Manual for Intellectual Disability), qui a adapté le DSM-5. En français, le livre de Rinaldi (2021) décrit les spécificités, liées à la déficience intellectuelle, du tableau clinique des quatre syndromes suivants : les troubles psychotiques, de l’humeur, anxieux et de la personnalité.
Divers instruments existent également pour évaluer les troubles de santé mentale dans cette population, tels que le Reiss Screen for Maladaptative Behavior, le PAS-ADD (Psychiatric Assessment Schedule for Adults with Developmental Disabilities), l’ADD (Assessment of Dual Diagnosis), le PIMRA (Psychopathology Instrument for Mentally Retarded Adults) ou encore le DASH II (Diagnostic Assessment of the Severely Handicapped II).
Lors de l’évaluation des problématiques de santé mentale, le professionnel devra être attentif à adapter son entretien clinique aux spécificités des personnes ayant une déficience intellectuelle. Le livre de Rinaldi (2021) fournit à ce propos de nombreux conseils. Par ailleurs, à côté du diagnostic psychiatrique, il est important d’évaluer la qualité de vie de la personne, ses forces ainsi que l’aide qu’elle peut recevoir de son réseau.

Les troubles (graves) du comportement
Un certain nombre de personnes avec un double diagnostic vont présenter des troubles du comportement, parfois graves : automutilations, hétéro agressivité, destruction de l’environnement matériel, conduites sociales inadaptées (crier, fuguer, se déshabiller en public…), troubles alimentaires (Pica, potomanie…), conduites d’autostimulation (stéréotypies verbales et motrices excessives). Toutefois, tous les troubles psychiatriques n’engendrent pas des troubles du comportement et inversement, tous les troubles du comportement ne sont pas liés à des troubles psychiatriques.
Le premier réflexe face à l’apparition de troubles du comportement est de vérifier qu’il n’y ait pas de cause somatique ou des douleurs non traitées, comme une otite, un abcès dentaire, une infection urinaire, un ulcère… Encore aujourd’hui, la douleur et les problèmes de santé physique ne sont pas suffisamment pris en compte, identifiés et soignés.
Une fois cette cause écartée, il s’agit de prendre le temps d’évaluer les comportements problématiques puis de mettre en place des stratégies d’intervention. Selon l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) du Québec (2021), trois types d’interventions psychosociales semblent généralement efficaces pour réduire les comportements problématiques : les interventions basées sur l’analyse appliquée du comportement, les interventions basées sur l’approche cognitivo-comportementale et celles utilisées dans l’approche du soutien comportemental positif (Positive Behavior Support). Dans leur ouvrage, Willaye et Magerotte (2014) dressent un éventail des stratégies d’intervention disponibles et proposent différents outils d’évaluation fonctionnelle (questionnaires, outils d’observation directe, analyses fonctionnelles, plan d’intervention…) très utiles aux professionnels.
En amont, il est important de prévenir au maximum l’apparition de ces troubles, en veillant à minimiser les facteurs de risque et favoriser les facteurs de protection. Dans ce contexte, il s’agira notamment de permettre à la personne de vivre dans un environnement physique adapté à ses besoins par exemple en personnalisant les espaces, les horaires, les modalités de repas, en prévoyant des espaces privés de retrait volontaire, en organisant des activités valorisantes, en encourageant l’inclusion sociale de la personne dans sa communauté ou encore en utilisant des outils de communication personnalisés (INESSS, 2021). Malheureusement, beaucoup de personnes ayant un double diagnostic vivent aujourd’hui dans des structures qui ne sont pas adaptées à leurs besoins.

Quel accompagnement est proposé aux personnes ?
Les personnes ayant une déficience intellectuelle devraient pouvoir bénéficier des mêmes soins de santé mentale que tout un chacun. En cela, la convention de l’ONU en faveur des personnes en situation de handicap nous rappelle dans son article 25 sur la santé que « les États Parties fournissent aux personnes handicapées des services de santé gratuits ou d’un coût abordable couvrant la même gamme et de la même qualité que ceux offerts aux autres personnes ». Cependant, cela ne semble pas être le cas en Wallonie. Par exemple, même s’il existe quelques initiatives comme le SAPI (Service d’Aide aux Personnes avec difficultés Intellectuelles) à Verviers ainsi que l’Antenne Double Diagnostic du centre de santé mentale l’Adret à Bruxelles, très peu de Services de Santé Mentale (SSM) ont des psychologues ou des psychiatres formés au double diagnostic. Il en est de même des psychologues ou des psychiatres indépendants ou travaillant dans d’autres structures généralistes.
Ces dernières années, plusieurs structures ont vu le jour avec l’objectif d’accompagner spécifiquement les personnes ayant un double diagnostic : équipes mobiles d’intervention, unités de vie dans des services d’hébergement, unités psychiatriques.
Ces structures, davantage détaillées dans la suite de cet article, vont principalement accueillir les cas les plus complexes, notamment les personnes présentant des troubles (graves) du comportement.
À côté de ces structures, d’autres initiatives ont été mises en place. Dans la province de Liège, une fonction d’interface double diagnostic intervient à la demande de toute personne qui rencontre une difficulté dans l’accompagnent d’un proche ou d’un patient qui présente un double diagnostic.
Elle analyse et oriente les demandes vers les services les plus adéquats et favorise l’articulation entre les différents partenaires. En province de Luxembourg, le projet pilote Matilda Déficience Intellectuelle (MDI) a pour mission de sensibiliser, (in)former et outiller les professionnels des différents milieux (scolaire, loisir, résidentiel, médical et milieu ouvert) et les familles des jeunes ayant un double diagnostic, ou à risque de développer une problématique de santé mentale. Dans différents réseaux de santé mentale pour enfants et adolescents (REALISM, Kirikou…),
le programme de liaison intersectorielle diffuse des outils auprès des professionnels et organise
des sensibilisations, formations et espaces d’échanges sur différentes thématiques dont celle des problématiques complexes, troubles de l’attachement, autisme, psychose et double diagnostic.

Équipes mobiles d’intervention spécialisées
Depuis 2009, des équipes mobiles spécialisées en double diagnostic ont vu le jour en Wallonie et à Bruxelles. Leur objectif est de soutenir les familles et les professionnels afin d’améliorer la qualité de vie des personnes, diminuer les troubles du comportement et éviter l’exclusion du milieu de vie, notamment par des entretiens de counseling, de la psychoéducation, la mobilisation d’un réseau autour de la personne, ou encore en proposant des pistes thérapeutiques. Elles interviennent dans le milieu de vie de la personne : domicile, école, hôpital, centre de jour, entreprise de travail adapté, hébergement, maison de repos, etc. Cette offre devrait être élargie afin de pouvoir répondre à toutes les demandes.
A côté des équipes mobiles, dans le cadre de la nouvelle politique fédérale intersectorielle de soins en santé mentale pour enfants et adolescents, le case management est un dispositif proposant un espace de concertation permettant de réfléchir de manière intersectorielle à la prise en charge de jeunes en situations complexes, en rupture ou en risque de rupture de trajectoire de soins, ce qui peut concerner des jeunes avec un double diagnostic.

Des unités de vie dédiées aux personnes ayant un double diagnostic dans les services d’hébergement pour adultes en situation de handicap
Depuis peu, certains services résidentiels pour adultes ont aménagé une unité de vie spécialement dédiée à l’accueil des personnes avec un double diagnostic. C’est le cas par exemple du projet La Toûne, sur le site du service résidentiel pour adultes la Maisonnée à Ittre, qui a permis de construire un nouveau lieu de vie complètement pensé pour accueillir des personnes avec un double diagnostic. C’est le cas également du centre Reine Fabiola à Neufvilles qui, avec l’aide du Dr Godelieve Baetens, psychiatre spécialisée dans le double diagnostic, a repensé l’infrastructure de deux foyers d’hébergement afin qu’ils soient mieux adaptés à l’accueil des personnes ayant un double diagnostic, en y apportant davantage de contenance, de structuration et de différenciation des lieux et des espaces. Bien sûr, il n’est pas envisageable ni souhaitable que toutes les personnes ayant une déficience intellectuelle et présentant à un moment donné un trouble de santé mentale soient intégrées dans des foyers d’hébergement spécialisés, mais cela permet à certaines de s’apaiser et de trouver un lieu de vie mieux adapté à leurs difficultés.
Malheureusement aujourd’hui, en raison des longues listes d’attente, il est rare que les personnes en situation de handicap puissent réellement choisir le lieu d’hébergement qui leur conviendrait le mieux. Ces dernières doivent généralement se contenter du service où une place se libère ou du service qui les accepte malgré leurs troubles du comportement.
Ce manque de place, notamment pour les jeunes, a une nouvelle fois été mis en évidence par le documentaire « En attendant Zoro » de Sarah Moon Howe, sorti en septembre 2024.
À côté des services d’hébergement, d’autres initiatives existent, comme le centre thérapeutique de jour des Héliotropes, dans le Brabant Wallon, qui s’adresse à des personnes présentant une déficience intellectuelle et des difficultés psychiatriques.
À Bruxelles, l’association Atelier Tam-Tam, initiée par le Dr Godelieve Baetens, propose des ateliers thérapeutiques aux personnes présentant un double diagnostic, que ceux-ci fréquentent un centre de jour ou de nuit ou résident en famille.

Des unités psychiatriques spécialisées
Depuis quelques années également, plusieurs unités spécialisées dans l’accueil de personnes avec un double diagnostic se sont ouvertes dans des hôpitaux psychiatriques : au centre hospitalier Jean Titeca à Bruxelles, à la clinique psychiatrique des Frères Alexiens à Henri-Chapelle, au centre psychiatrique Saint-Bernard à Manage, à l’hôpital neuro-psychiatrique Saint-Martin à Dave, au centre régional psychiatrique Les Marronniers à Tournai, à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu à Leuze ou encore au centre hospitalier psychiatrique Le Chêne aux Haies à Mons. Ces unités sont essentielles pour accueillir des personnes avec un double diagnostic en crise, lors de moments plus difficiles. Elles permettent d’offrir un accueil temporaire à la personne le temps de se stabiliser et de retrouver un certain équilibre de vie.
Les troubles psychiatriques présents pourront être diagnostiqués. C’est aussi souvent l’occasion d’instaurer ou de faire le point sur les traitements médicamenteux, de supprimer certains traitements ou d’ajuster les doses. Par ailleurs, cette hospitalisation peut être l’occasion d’une mise au point somatique, afin d’éliminer toute pathologie physique comme cause des troubles comportementaux observés. Même si ce n’est pas l’objectif premier, ce « time out » permet également de soulager pendant un certain temps les proches ou les équipes éducatives qui ne savent plus comment aider la personne. Malheureusement, ces unités sont encore trop peu nombreuses et ne parviennent pas à répondre à toutes les demandes.
À côté de cet accueil de crise, des personnes avec un double diagnostic sont hébergées au sein de certaines Maisons de Soins Psychiatriques et Initiatives d’Habitation Protégée. Et des moyens supplémentaires ont permis une intensification de l’outreaching qui vise à assurer le suivi de la personne et le soutien aux équipes et/ou aux familles avant, pendant et après une hospitalisation en psychiatrie. Dans la province du Hainaut, un dispositif d’outreaching s’adresse spécifiquement aux adultes présentant un double diagnostic.

L’accompagnement des personnes internées
Parmi les personnes internées dans les annexes psychiatriques des établissements pénitentiaires ou dans des structures psychiatriques sécurisées, on trouve de nombreuses personnes présentant une déficience intellectuelle et parmi elles, un certain nombre présentant un double diagnostic. Dans une étude menée à l’hôpital psychiatrique sécurisé des Marronniers à Tournai, Vicenzutto et al. (2018) ont observé que 41,1 % des patients internés présentent un quotient intellectuel inférieur à 70 et parmi eux, 55,2 % présentent au moins un trouble psychiatrique. Les personnes ayant un double diagnostic représentent au total 22,7 % de l’ensemble de cette population médicolégale. En région flamande, Verlinden et al. (2009) ont observé que 69 % des patients médico-légaux ayant une déficience intellectuelle présentent également une voire plusieurs comorbidités psychiatriques.
L’accompagnement de ces personnes doit encore être amélioré. Selon Peeters (2019), faute d’un diagnostic et d’une prise en charge adaptée, les patients internés porteurs d’un double diagnostic n’acquièrent pas les compétences exigées et restent enfermés en moyenne 10,5 ans.
Depuis 2002, l’instauration du Trajet de Soins pour Internés (TSI) a permis de renforcer l’offre déjà existante de services de santé mentale afin qu’ils puissent accueillir des personnes internées. Dans ce cadre, plusieurs structures accueillent des internés ayant un double diagnostic : Initiatives d’Habitation Protégée, Maisons de Soins Psychiatriques, équipes mobiles ou encore unités de soins d’hôpitaux psychiatriques sécurisés.

La formation des professionnels
Un axe primordial de l’amélioration de l’accompagnement des personnes avec un double diagnostic est la formation initiale et continue des professionnels du secteur du handicap et de la santé mentale : services résidentiels, services d’accueil de jour, services d’accompagnement, entreprise de travail adapté, écoles, services psychiatriques et pédopsychiatriques, services de santé mentale, etc.
Depuis 2017, l’université de Namur propose un certificat interuniversitaire en intervention auprès des personnes en situation de double diagnostic (www.certificatdoublediagnostic.be). Ce certificat est accessible aux psychologues, orthopédagogues, psychiatres et médecins, mais également à d’autres professionnels (éducateurs spécialisés, assistants en psychologie, assistants sociaux, infirmiers, paramédicaux, etc.) ayant au moins cinq années d’expérience dans le domaine du handicap et/ou de la santé mentale. À l’heure actuelle, quatre-vingt-deux professionnels ont suivi cette formation qui comprend cent-cinq heures de cours et s’étale sur une année.
À côté de ce certificat, l’UNamur propose de nombreuses formations d’une ou deux journées sur le double diagnostic ou d’autres thématiques relatives à la santé mentale, accessibles à tous les professionnels du secteur du handicap et de la santé mentale (www.santementaleetpsychiatrie.be).
Depuis 2018, plus de 1000 professionnels y ont suivi au moins une journée de formation touchant à la thématique du double diagnostic.
D’autres organismes proposent également des formations sur le double diagnostic :
L’AVIQ (www.AVIQ.be/fr/scolarite-et-formation/formation/formations-pour-professionnels)
L’asbl Fusegu (www.fusegu.be)
L’asbl Repères formation (www.formationsrepere.be)
L’asbl Inclusion (www.inclusion-asbl.be)
L’asbl Atelier Tam-Tam (www.ateliertamtam.be)
Le SUSA (www.susa.be) propose des formations sur les troubles graves du comportement des personnes présentant un TSA (trouble du spectre autistique) et/ou une déficience intellectuelle
La santé interactive (www.lasanteinteractive.academy)
propose une formation en ligne « Eliot se coupe… De l’automutilation à l’apaisement » donnée par le Dr Baetens.
À côté des formations, de nombreuses équipes organisent des supervisions d’équipe pour aborder cette question.

Un suivi optimal ?
Malgré ces initiatives positives, la prise en charge actuelle des personnes ayant un double diagnostic n’est pas optimale et de nombreuses personnes ont encore des difficultés à trouver une offre de services correspondant à leurs besoins.
Ces limites ont été très bien documentées dans l’avis du Conseil supérieur de la santé (2015) ainsi que dans l’étude de l’Institut Wallon de Santé Mentale (Minotte et Gosselin, 2012).
Ces deux rapports avaient par ailleurs proposé de nombreuses recommandations qui, on l’espère, pourront peu à peu continuer à être mises en place dans les années à venir.

Bibliographie
Barnhill, J., Cooper, S-A., Fletc.her, R.J. (2017). DM-ID2 : Diagnostic Manual – Intellectual Disability. A textbook of diagnosis of mental disorders in persons with intellectual disability. National Association for the Dually Diagnosed, second edition.
Buckley, N., Glasson, E.J., Chen, W., et al. (2020). Prevalence estimates of mental health problems in children and adolescents with intellectual disability : A systematic review and meta-analysis. Australian & New Zealand Journal of Psychiatry, 54(10), 970-984. doi :10.1177/0004867420924101.
Buntinx, W., Cans, C., Colleaux, L., Courbois, Y., Debbané, M. et al. (2016). Déficiences intellectuelles. [Rapport de recherche] Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Éditions EDP Sciences.
Conseil Supérieur de la Santé (2015). Avis du conseil supérieur de la santé n°9203. Besoins en matière de Double Diagnostic (déficience intellectuelle et problèmes de santé mentale : trouble du comportement et/ou troubles psychiatriques) en Belgique.
Fletc.her, R.J. (2018). DM-ID2 : Diagnostic Manual – Intellectual Disability. A clinical guide for diagnosis. National Association for the Dually Diagnosed, second edition.
Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (2021). Troubles graves du comportement : meilleures pratiques en prévention, en évaluation et en intervention auprès des personnes qui présentent une déficience intellectuelle, une déficience physique ou un trouble du spectre de l’autisme. État des connaissances rédigé par Isabelle Boisvert et Michel Mercier. Québec, Qc : INESSS.
Mazza, M.G., Rossetti, A., Crespi, G. & Clerici, M. (2020). Prevalence of co‐occurring psychiatric disorders in adults and adolescents with intellectual disability : A systematic review and meta‐analysis. Journal of Applied Research in Intellectual Disabilities, 33(2), 126-138. doi : 10.1111/jar.12654.
Minotte, P. & Gosselin, C. (2012). Handicap mental et santé mentale. Repères théoriques et Etat des lieux des dispositifs visant à diagnostiquer, prévenir, soigner un problème de santé mentale et à maintenir une santé mentale de qualité chez les personnes adultes en situation de handicap mental. Une étude de la Plate-Forme de concertation en santé mentale des Régions du Centre et de Charleroi réalisée par l’Institut Wallon pour la Santé Mentale.
Nations Unies (2006). Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif.
Peeters, E. (2019). Le double diagnostic : une problématique lourde et peu connue. Revue Médicale de Bruxelles, 40 (4), 296-301.
Rinaldi, R. (2021). Psychopathologie de l’adulte avec déficience intellectuelle : Prévenir, évaluer, accompagner. Mardaga.
Royal College of Psychiatrists. (2001). DC-LD : Diagnostic Criteria for psychiatric disorders for use with adults with Learning Disabilities/mental retardation. Royal College of Psychiatrists, 1st edition.
Verlinden, S., Maes, B., Gœthals, J.(2009). Personen met een verstandelijke handicap onderhevig aan een interneringsmaatregel. Steunpunt Welzijn, Volksgezondheid en Gezin, Publicatie nr. 2009/01, SWVG-Rapport 04, 96p.
https ://www.vaph.be/documenten/personen-met-een-verstandelijke-handicap-onderhevig-aan-een-interneringsmaatregel
Vicenzutto, A., Saloppé, X., Ducro, C., Milazzo, V., Lindekens, M. & Pham, T. (2018). Forensic inpatients with low IQ and psychiatric comorbidities : specificity and heterogeneity of psychiatric and social profiles. International Journal of Forensic Mental Health, 17(3), 272–284. https ://doi.org/10.1080/14999013.2018.1504352
Willaye, E. & Magerotte, G. (2014). Évaluation et intervention auprès des comportements-défis : Déficience intellectuelle et/ou autisme. Bruxelles : DeBœck, 2ème édition, 378 p.

Quels soins de santé pour les personnes en situation de handicap ?

Vous avez dit « inclusion » ?

Marie-Ange Vandecandelaere, Marie Horlin
Service Politique & Monitoring – Unia

En situation de handicap, bénéficier de soins de santé accessibles et de qualité n’est pas chose aisée : lieux de soins inaccessibles, prestataires peu sensibilisés, non-prise en compte des besoins spécifiques de la personne…
En tant qu’institution publique qui lutte contre les discriminations et défend l’égalité en Belgique, Unia reçoit régulièrement des signalements de personnes en situation de handicap confrontées à la discrimination dans leur accès aux soins de santé.
Le droit à la santé fait pourtant partie des droits fondamentaux spécifiquement protégés par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (ci-après Convention ONU). Comme son effectivité est intrinsèquement liée au respect d’autres droits fondamentaux et constitutionnels, il engendre des obligations à différents niveaux, notamment en termes d’accessibilité et d’octroi d’aménagements raisonnables.

Au niveau international
La Convention ONU enclenche un changement de paradigme : oui, les personnes en situation de handicap sont sujets de droits
Tout d’abord, dans la Convention ONU, le handicap est défini comme une notion évolutive et systémique :
« Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières – comportementales et environnementales – peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres (Art. 1er de la CDPH) ».
Ainsi, une personne est considérée comme en situation de handicap dès qu’elle évolue dans un environnement inadapté et que son incapacité empêche sa pleine participation sur un pied d’égalité avec les autres.
Ensuite, la vision du handicap défendue par la Convention ONU est large : sont potentiellement concernées par cette définition, entre autres, les personnes avec des troubles de l’apprentissage, des maladies chroniques (tels le diabète ou l’épilepsie), des troubles de la santé mentale, une déficience intellectuelle, des troubles sensoriels.
Notons, et c’est important, qu’il n’est pas nécessaire d’être reconnu par une instance officielle comme l’AVIQ ou le SPF sécurité sociale pour être considéré comme une personne en situation de handicap afin de bénéficier de la protection juridique qui en découle, y compris le droit aux aménagements raisonnables.
Cette compréhension large et évolutive du handicap s’oppose à l’approche purement médicale du handicap qui a prévalu jusqu’alors. Les personnes en situation de handicap doivent être dorénavant considérées comme sujets de droits et non comme objets de soins. Il revient donc à la société de s’adapter pour inclure pleinement les personnes en situation de handicap.
L’article 25 de la Convention ONU stipule d’ailleurs que les personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination. Pour ce faire, les autorités ont l’obligation de mettre en œuvre toutes les mesures qui assurent l’accès aux services de santé.
Depuis 2021, ce changement de paradigme, porté par la Convention ONU, bénéficie d’un ancrage dans la Constitution belge grâce au nouvel article 22ter qui stipule que « Chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables ».

Au niveau national
La législation garantit un accès aux soins de santé sans discrimination
Depuis 2007, la Belgique dispose d’un cadre législatif important visant à interdire toute discrimination qui serait fondée notamment sur le handicap. Ces législations sont d’application dans les différents domaines de la vie sociale, y compris en ce qui concerne l’accès aux soins de santé.
En plus d’interdire les discriminations directes et indirectes, la législation stipule que refuser de mettre en place des aménagements raisonnables (pour plus d’information à ce sujet, voir encadré « Un aménagement raisonnable ») pour une personne handicapée constitue une discrimination, sauf si les aménagements demandés représentent une charge disproportionnée.
Dans l’accès aux soins de santé, les aménagements raisonnables peuvent prendre différentes formes :
matérielles : une rampe d’accès à l’entrée d’un cabinet médical ; des supports adaptés pour expliquer le déroulement d’un examen médical ; des consignes médicales dans un langage facile à lire et à comprendre (FALC) ; l’octroi d’une chambre individuelle sans surcoût pour un patient autiste ; un matelas anti-escarres pour une personne tétraplégique, etc.
organisationnelles : du temps supplémentaire lors d’une consultation pour s’assurer de la bonne compréhension des informations par le patient avec un handicap intellectuel ; l’accès aux chiens d’assistance ; la prolongation d’une hospitalisation pour qu’une personne avec un handicap moteur puisse retrouver un peu d’autonomie avant son retour à domicile, etc.
Contrairement à l’accessibilité, qui intervient en amont et concerne l’ensemble de la population, les aménagements raisonnables sont des mesures individuelles, adaptées en fonction des besoins spécifiques de la personne en situation de handicap, dans une situation concrète.
Ainsi, un aménagement raisonnable mis en place pour un personne autiste ou une personne sourde, par exemple, ne va pas forcément répondre aux besoins d’une autre personne sourde ou autiste. Chaque aménagement doit donc être conçu sur mesure.

En réalité, les inégalités perdurent dans l’accès au soin
Malgré cet arsenal juridique, les inégalités d’accès aux soins pour les personnes en situation de handicap persistent. De nombreux obstacles continuent de compromettre leur accès aux services de santé. Ils ont été particulièrement exacerbés durant la crise sanitaire du covid.
Tout d’abord, l’accessibilité des infrastructures médicales et paramédicales reste insuffisante. Les hôpitaux, cabinets médicaux, et même les transports vers les lieux de soin sont souvent inadaptés, rendant difficile, voire impossible, l’accès aux services de santé.
« Pas de choix libre du médecin traitant, il faut un cabinet accessible chose rare ! » (Consultation d’Unia, 2020)
Ensuite, l’absence de procédures d’accueil spécifiques pour la prise en charge des personnes en situation de handicap constitue un véritable frein. Leurs besoins ne sont pas toujours pris en compte, faute de protocoles ou de directives claires sur leur droit aux aménagements raisonnables.

« À l’hôpital, il m’est déjà arrivé de rester quatre jours dans le couloir aux urgences, où ils vous lavent et ils vous changent la couche-culotte alors que tout le monde passe par là »
(Consultation d’Unia, 2020)

Par ailleurs, l’accessibilité de l’information fait cruellement défaut : manque de supports adaptés ; absence d’interprètes en langue des signes lors des consultations et hospitalisations ; usage d’un jargon médical complexe empêchant de garantir un consentement libre et éclairé…

« Beaucoup d’hôpitaux belges continuent à faire des difficultés pour recourir à des interprètes lors des consultations. C’est un droit élémentaire qui occasionne toujours des discussions sans fin alors que cela devrait être un droit fondamental. Supposez qu’on vous explique qu’on vous a diagnostiqué un cancer, mais que vous ne comprenez rien à ce qu’on vous raconte… »
(Consultation d’Unia, 2020)

De plus, la formation du personnel de santé reste insuffisante. La méconnaissance des spécificités liées au handicap peut engendrer des incompréhensions, des stéréotypes menant dans certains cas à des discriminations, voire des erreurs de diagnostic ou médicales.

« Le plus dur, c’est le manque de formation du personnel médical ou paramédical et leur suffisance. L’inclusion ne fait pas partie du monde de la médecine ou des soins de santé. »
(Consultation d’Unia, 2020)

Enfin, le coût des soins représente un obstacle majeur, en particulier pour les personnes handicapées en situation de précarité, voire de pauvreté. Rappelons qu’en Wallonie et à Bruxelles, selon la dernière enquête de Solidaris (datée de 2023) sur le renoncement aux soins pour des raisons financières, plus de quatre Belges francophones sur dix ont déjà dû renoncer à un soin faute de moyens financiers.

« Les coûts de l’hôpital et des médicaments prennent des proportions gigantesques alors que mon revenu recule aussi de manière gigantesque car je ne peux plus aller travailler. »
(Consultation d’Unia, 2020)

Garantir un droit à la santé effectif : un impératif pour les autorités et les professionnels de santé
Pour que les droits des personnes en situation de handicap ne restent pas théoriques, les autorités politiques ont un rôle crucial à jouer. Ainsi, conformément aux recommandations du Comité des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, émises en septembre 2024, il est urgent de prendre des mesures réglementaires pour améliorer l’accessibilité des infrastructures médicales et paramédicales. Les autorités doivent également fixer un cadre pour que les personnes handicapées puissent donner un consentement libre et éclairé à toute procédure médicale, et veiller à ce qu’elles puissent accéder aux soins de manière égalitaire et à un coût abordable.
Ces mesures politiques doivent être adoptées le plus rapidement possible. Toutefois, nous savons qu’elles ne pourront pas produire leurs effets du jour au lendemain. C’est pourquoi il est fondamental que les professionnels de la santé agissent à leur niveau en mettant tout en œuvre pour assurer un accès non-discriminatoire aux soins de santé. Pour ce faire, ils doivent dans l’immédiat garantir le droit aux aménagements raisonnables pour les personnes en situation de handicap.

Comment ?
En étant à l’écoute des besoins des personnes handicapées, en se formant à leurs spécificités, et en prenant le temps nécessaire lors des consultations pour qu’elles puissent comprendre les enjeux liés aux soins. Un langage accessible, que ce soit notamment par des explications faciles à comprendre ou bien encore l’usage de la langue des signes pour les personnes sourdes, doit être systématiquement privilégié. Toutes les mesures de soutiens nécessaires doivent être mises en place pour renforcer la capacité des personnes en situation de handicap à prendre en charge leur santé et leur permettre de participer aux décisions médicales (utilisation d’outils adaptés, désignation de personne de confiance…).
À l’échelle des structures hospitalières, médicales et paramédicales, il conviendrait de désigner des référents « accessibilité et aménagements raisonnables » formés aux questions de discriminations et aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. Ils pourraient ainsi : s’assurer d’un accueil personnalisé et adéquat des personnes handicapées ; veiller à l’amélioration de l’accessibilité des infrastructures des équipements médicaux mais aussi des pratiques organisationnelles. En la matière, le service Welcome de l’hôpital de la Citadelle de Liège (voir pages 96-97) est particulièrement inspirant. Il a pour mission d’offrir un accompagnement personnalisé aux personnes à besoins spécifiques au sein de l’hôpital afin de leur garantir une meilleure qualité des soins et d’accueil.
Nul doute que de nombreuses autres bonnes pratiques existent sur le terrain. Il nous appartient à tous de les soutenir, les renforcer et les promouvoir pour que le droit à des soins de santé inclusifs devienne une réalité pour toutes les personnes en situation de handicap.

Un aménagement raisonnable?

Un aménagement raisonnable est une mesure concrète permettant de réduire, autant que possible, les effets négatifs d’un environnement inadapté sur la participation d’une personne en situation de handicap à la vie en société. L’aménagement doit permettre une participation effective, égale et autonome de la personne en situation de handicap.
Un protocole fixe des indicateurs permettant d’évaluer le caractère raisonnable de l’aménagement tels que, entre autres, le coût, l’impact sur l’organisation, la fréquence et la durée prévues de l’utilisation de l’aménagement, la dignité qu’il garantit à la personne…
Si l’aménagement demandé est déraisonnable, le refus n’est pas une discrimination. En tout état de cause, il faudra toujours vérifier si une alternative non-disproportionnée est envisageable.

Moins la société est inclusive et accessible, plus le recours aux aménagements raisonnables sera nécessaire pour garantir l’équité.

En savoir plus sur le travail d’Unia : visitez www.unia.be
Consultation des personnes handicapées sur le respect de leurs droits, 2020
Rapport d’étude et recommandations : pour une meilleure accessibilité des hôpitaux aux personnes malentendantes et sourdes, 2019
La priorisation dans les hôpitaux en temps de pandémie pour les personnes en situation de handicap, 2021
L’impact de la crise du coronavirus sur les personnes en situation de handicap, 2020
Pour aller plus loin :
Alteo, « Comment assurer à tous l’accès à des soins de qualité ? Compilation des constats, attentes et suggestions », septembre 2024.
Inclusion, Handicap & Santé, « Dites aaa », référentiel des conseils et outils pratiques pour garantir des relations de soins de qualité pour les personnes avec un handicap intellectuel : ditesaaa.be
Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE), « Comment améliorer l’accès aux soins de santé des personnes en situation de handicap intellectuel ? », 2022.
Contactez Unia :
Unia
Place Victor Horta 40, bte 40
1060 Saint-Gilles (Bruxelles)
0800 12 800 (depuis la Belgique)
+32 (0) 2 212 30 00 (depuis l’étranger)
Réseaux sociaux :
Unia

Het Vlaams Patiënten Platform

Mutualisation entre associations : Deux associations de patients collaborent pour une journée consacrée au bien-être

Martine Delchambre Chargée de projet à la LUSS

Le 18 novembre dernier, des membres du GESED (Groupe d’Entraide des Syndromes d’Ehlers-Danlos), ainsi que des affiliés de la Ligue Belge de la Sclérose en Plaques (LBSP) et quelques membres de l’Association Parkinson se sont retrouvés pour participer à une journée inédite de bien-être, coorganisée par le GESED et la LSEP. Plus de cent participants étaient inscrits.

Le projet NEED : Placer les besoins non rencontrés des patients, de leurs proches et de la société au cœur des politiques de santé

Irina Cleemput, Charline Maertens de Noordhout & Sabine Corachan - Centre Fédéral d’Expertise des soins de santé (KCE) // Diane-Estelle Ngatchou-Djomo Chargée de projet à la LUSS

Les maladies pour lesquelles il n’existe pas de traitement ou dont les traitements s’accompagnent de nombreux effets secondaires, sont chers ou ont un impact important sur la qualité de vie sont des réalités vécues par les patients et la société. Tout cela engendre ce que l’on nomme des besoins de santé non rencontrés.

Un lien très interpellant entre aidance et précarité

Christian Carpentier Responsable communication - ASBL Aidants Proches

Pour préparer son mémorandum en vue des élections de l’an prochain, l’ASBL Aidants Proches a longuement donné la parole aux personnes concernées. Un lien indéniable entre aidance et précarité y apparaît de manière forte. Combattre cette réalité est au cœur de ses revendications en vue des élections de juin 2024.

Les personnes atteintes de maladies rares et leur mutuelle

Aperçu des défis et recommandations basées sur l'enquête 2021

Votre mutuelle est importante pour faire face à une maladie. Idéalement, il s’agit d’une source d’information et d’un facilitateur de soutien. Comment le service fonctionne-t-il pour les personnes souffrant de pathologies qu’un travailleur social ou un médecin conseil ne connaît pas ? Les histoires difficiles vécues par les personnes atteintes de maladies rares témoignent-elles de situations exceptionnelles ou y a-t-il plus que cela ? Trois associations de patients coupoles ont uni leurs forces pour évaluer la situation.

Handicap

Vivre le handicap au quotidien est un parcours semé d’embuches. Ces personnes sont confrontées tous les jours à de petits et grands obstacles qui contribuent à renforcer le handicap.

Cette problématique traverse toutes les composantes de la vie : l’accessibilité au sens large, le domaine de l’éducation, des structures d’accueil, le domaine professionnel, social, familial, affectif, l’autonomie, l’accès aux services, les aidants proches, etc.

La LUSS a décidé de faire du handicap une thématique de concertation permanente pour mieux relayer les difficultés des personnes handicapées à travers les différents mandats qu’elle occupe, notamment à l’Observatoire des maladies chroniques et au sein de l’Agence pour une Vie de Qualité (AViQ), mise en place dans le cadre de la régionalisation des compétences liée à la 6e réforme de l’état.

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